Gentils coquelicots mesdames (08-09)

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[Lune d'Or, 9ème année de Vainqueur]

Lawena avait été porter sa dernière commande à sa cliente la plus haut placée, à savoir, un ballot de tissus aux couleurs les plus diverses chez Heidi. Ce n'est pas que la teinturière adorait se promener au château de Castlecerf, lequel lui semblait bien trop... trop quoi ? Bah, juste pas pour elle. Mais les affaires étaient les affaires, et la montagnarde excentrique, non seulement l'amusait, mais s’avérait aussi une grosse consommatrice d’étoffes aux tons joyeux.
Par contre, ça ne l’empêchait pas de laisser son regard traîner partout, et lorsqu'au détour d'un couloir ouvrant sur une courette, elle repéra de loin un jardinet avec une corolle bleu foncé caractéristique, elle n’hésita guère. Que sa présence ne soit pas souhaitée en ces lieux l'avait à peine effleurée, et comme elle ne rencontra aucune opposition en descendant auprès de la plante convoitée, elle ne se fit pas plus de souci que ça.

Visiblement, c’était son jour de chance. Non seulement, elle venait de trouver un végétal rare qu'elle n'avait encore pas pu dénicher dans les Duchés, et qui aurait tout à fait sa place dans son petit terrain de teinturière, étant donnée la nuance outremer profonde que ses étamines séchées pouvaient donner. Mais encore, ô second miracle, certaines tiges portaient des graines ! Ni une ni deux, Lawena s'agenouilla, tira d'une poche un mouchoir couleur d'orange bien mûre, et entreprit d'y faire tomber les précieuses semences.
Elle n'avait pris aucun soin spécifique pour se montrer particulièrement discrète, et si elle ne sifflotait pas cette fois-ci, trop prise par sa tâche, elle ne serait cependant pas bien difficile à repérer. Un malandrin véritable se serait vêtu de teintes sombres pour accomplir son forfait, mais l'ex-esclave semblait se complaire dans l’exact opposée, avec ses habituelles couleurs à faire pâlir un arc-en-ciel. Non loin siffla un oiseau. Peut-être pas le genre de chant auquel les cerviens étaient habitués, mais Suroît, plus prudente que sa compagne de Vif, était restée dissimulée dans l'un des petits buissons du jardin.

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Mona avait passé une très bonne nuit. A l'auberge de sa sœur, elle avait rencontré un homme formidable la nuit dernière! Jeune bucheron descendu en ville, il était bâti comme un ours avec de grandes mains fermes entre lesquelles elle s'était sentie toute petite et était doté d'un visage aux traits fins décorés par deux saphirs pétillants en guise d'yeux. Et à homme formidable, nuit formidable! Quelle endurance! Mona n'en revenait toujours pas. Il l'avait laissé si rêveuse et avec si peu de sommeil qu'elle n'était plus capable de rien ce jour là.

On l'avait donc collée à la garde des portes! Il n'y avait rien de pire que de passer une demi-journée debout à regarder le temps passer, escortée par une bleusaille aussi vilain et idiot que ses bottes. Voilà qui lui changeait cruellement de son bel ours de la nuit dernière. Mona passa donc un long moment, de deux heures après le lever du soleil à la la mi-journée à faire le planton devant les portes, si bien que quand on vint enfin la relever, elle avait juste envie de retourner se coucher.

Gardien avait attendu dans la cour du château et la rattrapa alors qu'elle était en train d'aller se chercher à manger aux cuisines. Ils marchèrent en silence l'un à coté de l'autre, esprit dans l'esprit comme deux amis marchent main dans la main, jusque dans le château. L’œil de Mona fut soudain attirée par une femme accroupie dans un jardinet. Elle fronça les sourcils: si elle n'était pas capable de nommer chaque personne qui travaillait dans ce château, elle était toutefois capable de dire si quelqu'un y vivait ou non?

Et celle là ne lui disait rien, d'autant qu'elle était visiblement en train de faucher des plantes dans le jardin.

"Êtes vous autorisé à recueillir ces graines?" demanda-t-elle depuis le couloir qui menait au jardinet.

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Une voix, une question. Lawena se retourna tranquillement, la pièce à convictions en main. Une garde. Et un chien.
Ils sont liés comme nous, la prévint une Suroît pas très à l'aise dans ses plumes. Voilà qui expliquait aussi la désagréable impression qu'elle-même ressentait. Un canidé dans les aussi proches parages ne constituait rien de souhaitable pour aucune des deux. L'humaine rassura pourtant sa compagne de Lien d'une pensée, tout en lui recommandant de rester cachée.

“ Allons bon, ma brave dame, pensez vraiment que je m'promène avec des manuscrits au sceau du roi et d'ses conseillers au grand complet ?J'ai jamais fait aucun genre d'tintouin pour ça. C'est qu'des graines. Y'en aura bientôt autant d'toutes neuves à ramasser, si les oiseaux les ont pas becquetées avant. ”

Non, pas toi, je sais, transmit-elle avec une teinte d'amusement à son amie dissimulée.

“ M'dites pas que j'dois m'user les yeux sur des pattes de mouche dès que j'veux aller cueillir les fraises des bois d'l'aut' côté d'la rivière... ou alors c'est-y qu'on aurait inventé une d'ces nouvelles taxes ? ”

La paperasse, c'était pour ceux de la haute. Et les dons de la nature, à l'inverse, ne pouvaient qu'être publics autant que gratuits dans son esprit.

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Bon, elle n'avait pas tort, devait bien admettre Mona. Ce n'étaient que des graines et ce n'était pas comme si elle était allée les chercher dans le jardin de la reine. Ce n'étaient que quelques fleurs entretenues par une servante dans une courette, mais tout de même. Elle était étrangère au château et il était légitime qu'une garde se pose des questions au sujet d'une inconnue dans le château sur lequel elle veillait.

Gardien décida que la femme était digne de confiance sans prévenir sa maitresse et s'approcha en trottinant de la ramasseuse de graines, qui était penchée sur de belles fleurs bleues. Elle était vêtues de vêtements aux couleurs vives, plutôt jolis, nota la garde.

"C'est vrai qu'elle sont jolies, celles-là." commenta finalement Mona en fixant les fleurs, comprenant qu'on puisse en vouloir chez soi. "Mettons que je n'ai rien vu."
Il y a quelque chose de bizarre, Mona.
Tu vois bien qu'elle ne fait que ramasser de graines, ce n'est rien de dramatique. Allez viens, on va chercher à manger.

Mais il resta sourd à son appel et après avoir rapidement flairé le genou de la femme, se mit à arpenter le jardinet, le nez au sol. Un oiseau? Pourquoi il cherchait un oiseau?

"Gardien..." appela-t-elle exaspérée et affamée.

Mona n'eut pas le temps de finir sa phrase que l'animal se planta devant buisson et lança un aboiement tonitruant qui la fit sursauter. Irritée, elle se dirigea vers son chien et l'attrapa par le collier. Puisqu'il ne répondait ni à ses appels physiques, ni mentaux, il faudrait qu'elle le traine hors du jardin pour qu'il cesse d'importuner tout le monde.

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Malgré cette impression persistante de malaise, l'interpellation ne déboucha sur aucun surcroît de problèmes. A l’étonnement de Lawena, la femme d'armes se rangea même à son opinion. Eh bien, elle se serait attendue à plus de rigueur de la part de la « garde royale du roi », comme dirait Heidi, mais n'allait sûrement pas s'en plaindre. Pourtant, lorsque le chien se mit en tête de venir la renifler de plus près, la teinturière eut un mouvement de recul instinctif, qui lui fit éparpiller une partie des précieuses graines au sol.

« Vous pourriez pas tenir vot' bête ? »
Le reproche restait dit sur un ton relativement placide, mais elle se trouva franchement soulagée quand le molosse la quitta pour aller flairer ailleurs.

« Oh, les fleurs, c'est rien. La couleur qu'e' font une fois sèches, c'est aut' chose. »
corrigea-t-elle au commentaire de Mona sur l'aspect des plantes qu'elle égrenait. Une courbette où le sérieux n’était qu'un prétexte suivit la déclaration de pseudo aveuglement sur son geste, avant que l'ex-esclave ne se remette au niveau du sol pour récupérer sa récolte, comme si elle se trouvait seule dans le jardinet. Le soulagement, pourtant, avait été de courte durée, puisque le canin en était maintenant, elle s'en rendait juste compte, à traquer Suroît.
« L'est vraiment bizarre, vot' chien. »

L'aboiement fut de trop pour l'oiseau, et en un froissement de plumes, une forme aux couleurs vives jaillit du buisson, pour s'enfuir à tire-d'aile vers la rivière.
Pas grave, ma belle. Reste là-bas, je te rejoins bientôt.
répondit mentalement l'humaine à la pensée de sa compagne, avant de commenter oralement, moqueuse :
« Mouais, ben j'pensais vraiment pas qu'les gardes du château passaient leur temps à chasser les p'tits oiseaux dans les jardins. »

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Quel était le problème de ce chien? Voilà qu'il levait des petits oiseaux dans les buissons comme un basset! Merde! Mona l'avait dressé à chasser l'ours et le brigand, pas le moineau! Comme venait d'en témoigner la remarque de la ramasseuse de graines, la garde et son molosse venaient de perdre toute crédibilité et donc toute autorité.

Putain, Gardien! Qu'est ce qui te prend?
Il est bizarre cet oiseau!

Le chien s'arque-bouta dans la direction dans laquelle l'oiseau s'était envolé, mais Mona tenait ferme son collier, les talons plantés dans le sol, si bien que leurs forces s’équilibraient et que ni l'un ni l'autre ne bougeait à leurs grandes frustrations respectives. Gardien fini par céder et détendit lentement ses muscles l'un après l'autre pour signifier la fin du conflit. La garde lâcha le collier en cuir du chien et le regarda dans les yeux avec un air navré. Il leva le museau vers elle

"Qu'est ce qu'il a de si bizarre cet oiseau?
Il est lié à cette femelle. répliqua-t-il avec une image mentale assez probante de la ramasseuse de graines

Ce fut plus fort qu'elle, Mona coula un regard halluciné vers la femme, puis reprit bien vite son air neutre et sévère de garde.

"Ce qu'on fait de notre temps de vous regarde pas. Finissez avec vos graines et filez."

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Dix minutes après que Lawena fut partie, Heidi se frappa le front du plat de la main. Mazette ! Elle avait oublié de lui confier sa robe !
Ni une ni deux, la Montagnarde s'empara du vêtement, qui attendait patiemment sur le dossier d'une chaise, et s'échappa dans le couloir à toutes jambes, sans même prendre le temps de chausser ses bottes.

Un peu plus loin, et non sans détours, elle finit par rattraper la teinturière - qui, il faut l'avouer, se remarquait de loin au vu de l'arc-en-ciel qu'arborait sa garde-robe. La jeune femme était en pleine discussion avec un garde, ou plutôt une, si l'on en croyait la crinière rousse qui tombait dans son dos, et ses yeux verts ma foi pas désagréables.

Grâce à son esprit surpuissant, Heidi, pieds-nu et pas essoufflée pour deux sous, analysa la situation. Une femme, deux femmes, et... un chien. Un gros chien noir. Elle gratifia sa tête d'une caresse amicale et s'écria sans ambages :
- Oh qu'il est mignon ! Il s'entendrait sans doute bien avec Jamp.

Il ne lui vint pas à l'idée que l'inconnue puisse ne pas saisir le sens de ses paroles. Elle venait de toute façon pour Lawena ; aussi, après avoir salué la garde d'un sourire aimable, la Montagnarde reporta son attention sur l'affranchie :
- Excusez-moi. J'ai juste oublié de te donner ça.
Et elle lui fourra la robe, d'un vert assez terni pour requérir ses services, dans les bras.

Sa tâche accomplie, elle ne put toutefois se résoudre à partir. Elle avait la désagréable impression que quelque chose lui échappait. Son regard alla de Lawena à Mona, de Mona à Gardien, de Gardien à Mona...
- Ah mais j'y suis ! s'exclama-t-elle dans un éclair de génie. Vous êtes la catin du chien !

Et puis, comme si ces paroles ne portaient pas le moins du compte à conséquences, elle poursuivit dans un joyeux babil :
- Enchantée, je suis Heidi ! Vous allez voir, vous n'allez pas en revenir : les couleurs de Lawena son eeeextra !

Elle saisit le col de la garde entre ses doigts et frotta le tissu d'un air pensif :
- Il était temps ! Votre cape est presque aussi passée que ma robe !
- Comme nous allons être beeeeelles, finit-elle en envoyant dans les côtes de son amie un coup de coude complice, mais non moins ravageur.
Elle aurait fait tout son possible pour conclure l'affaire !

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Lawena réussit à ne pas éclater de rire devant la lutte entre la garde et son chien. Oui, des fois, elle pouvait aussi se retenir, parce que les geôles de Castlecerf n’étaient certainement pas un endroit qu'elle avait envie de visiter. Mais ça n’était pas non plus son fort d’éviter de dire ce qu'elle pensait pour se faire oublier, comme le prouva la suite.
« A voir. Vous croyez qu'i' l'trouve où, vot' roi, l'or pour la solde d'ses p'tits soldats ? Ce s'rait-y pas des taxes qu'nous aut' on y paye, des fois ? Alors, on a ben l'droit d'savoir à quoi qu'vous passez l'temps. »

La soudaine venue d'Heidi lui évita d'en rajouter, ce qui n'aurait pas forcément été du meilleur effet pour son matricule.
« J's'rais toi, j'les laisserais pas ensemble, l'gros risqu'rait d'p'rend' le p'tit pour un genr' d'oiseau, et d'essayer d'y goûter. »
Elle avait bien remarqué comme la montagnarde tenait à sa boule de poils, alors autant éviter une catastrophe qui rendrait sourde la moitié de la population du château. Et si des fois l'un était mâle et l'autre femelle... non, ça, il ne fallait même pas y penser. Ce serait tellement plus qu'une catastrophe, il n'existerait pas de mot pour ça.

« La mêm' couleur ? J't'aurais bien proposé un vert avec un' p'tite touche d'bleuté, mais j'crois pas qu'y va êt' prêt tout d'suite. Pis à la prochain' saison j'devrais avoir un outr'mer dont tu m'diras des nouvelles, »
jacassa-t-elle sans se soucier de la garde elle non plus, finissant en soulevant d'un air satisfait son mouchoir plein de graines. Heidi semblait pourtant vouloir autre chose, mais l'ex-esclave n’était pas au courant de tous les potins du château. Elle avait la primeure sur certains que lui rapportaient sa cliente, mais aussi bavarde soit-elle, cela ne permettait pas de tout savoir. Le surnom de la garde, et la réputation qui l'accompagnait, n'avait donc pas atteint les oreilles de Lawena, qui pour une fois, préféra se taire. Voilà qui ne ressemblait pas franchement à un compliment, et à moins que la femme d'armes n'ait une excellente nature, une certaine herboriste risquait de passer un sale instant. A moins que sa capacité à passer du coq à l’âne ne la sauve d'une fin longue et douloureuse.

« C'est moi. Lawena, teinturière, pour vous servir. »
confirma-t-elle avec un peu plus de hâte que la normale, des fois que ça aiderait à faire oublier la maladresse qui avait précédé. Parce qu'une bonne cliente comme Heidi, ça se préservait. Elle accompagna le tout d'une de ses pseudo révérences, avant de préciser :
« Enfin, si vot' roi vous y r'file assez d'monnaie pour payer, ben sûr. »
Que la garde n'aille pas s'imaginer que son statut la dispenserait d'en passer par ce détail. Les affaires restaient les affaires. Mais avec Heidi à ses côtés, elle n'avait pas trop à s'en faire. Soit Mona écouterait la forte blonde, oui toutes sortes de gens existaient, soit elle refuserait à tout jamais de faire affaire avec quelqu'un qui fréquentait la montagnarde. Et dans un cas comme dans l'autre, rien de ce que pourrait dire la teinturière ne changerait la situation, donc autant ne pas se fatiguer.

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L'altercation fut interrompue par la soudaine arrivée d'une troisième jeune femme, qui comme une tornade, refila une robe aux couleurs passées à la cueilleuse de graines, caressa en babillant la tête de Gardien et se mit à tripoter le col de la cape usée de la garde. La catin du chien? Cette enfoirée de petite bourgeoise osait l'appeler ainsi, devant elle? En plus elle n'avait pas l'air de chercher la bagarre, sitôt l'insulte proférée, elle avait changé de sujet. De surprise, Mona faillit s'étouffer. Elle toussa pendant vingt bonnes secondes avant de lever la tête à nouveau, les yeux injectés de sang.

Là, noble ou pas, cette blondasse allait passer un très sale quart d'heure. La rage bouillonnait déjà au creux de l'estomac de Mona, ne demandant qu'à s'exprimer. C'était encore maitrisable, toutefois. Elle pourrait très bien ravaler sa colère et faire comme si elle n'avait rien entendu, mais elle n'en avait pas envie. On l'avait appelée la catin du chien une fois de trop et celle là allait payer pour les autres.

"La catin du chien, hein?" mugit-elle en réponse aux bavardages des deux dames. "La catin du chien! D'où sortez-vous l'infini culot de m'appeler ainsi en me regardant dans les yeux?"

A ses pieds, Gardien s'était levé et grondait puissamment, en écho à l'humeur de sa maîtresse. Il fini par laisser échapper un aboiement sonore, qui aurait été le premier d'une longue série si Mona ne l'avait pas fait taire d'un geste sec dans sa direction. Il se plaça donc derrière elle en silence derrière elle, à l'endroit où il se postait pour protéger ses arrières quand elle tirait à l'arc. La garde, elle, s'approcha lentement de la blondinette insolente.

"Fuit donc, avant que je ne te corrige ta loucherie au poignard!" rugit Mona en avertissement.

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Heidi jeta un coup d’œil joyeux dans le mouchoir de Lawena, où reposaient les graines fraîchement cueillies, puis reporta un regard perplexe vers la garde, qui semblait prise d'une quinte de toux. Sa peau se teintait d'un écarlate pas délavé du tout... Et puis, elle explosa :
- La catin du chien, hein ? La catin du chien ! D'où sortez-vous l'infini culot de m'appeler ainsi en me regardant dans les yeux ?

Le chien grogna et Heidi le trouva soudain beaucoup moins mignon. Peut-être que Lawena avait raison et qu'il faudrait garder Jamp à distance. Il faudrait qu'elle pense à demander à Mona de venir sans, lorsqu'elle l'inviterait à prendre le thé. Mais peut-être que la garde le prendrait-elle mal ? Après tout, elle n'avait pas l'air bien commode, là, en s'avançant vers elle d'un air menaçant.
- Fuis donc, avant que je ne corrige ta loucherie au poignard !

Heidi ne comprenait pas très bien ce qui était en train de se passer. Pourquoi Mona était-elle si en colère ? Par précaution plutôt que par peur, elle recula d'un pas et, tendant ses paumes devant elle en signe de conciliation, déclara d'une voix mal-assurée :
- Pardon, je ne voulais pas vous blesser... J'ai entendu des hommes vous appeler comme ça dans la cour, c'est tout ! En réalité, j'avais hâte de vous rencontrer !

Et elle se fendit d'un sourire désarmant. Lawena pourrait-elle gager de sa bonne foi ?

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Lawena avait prêté une attention discrète aux réactions de la garde, et il semblait que ni le changement de sujet, ni l'abrutissement de paroles les plus diverses, ne soit efficace dans le cas présent. Et de par son occupation habituelle, la femme était certainement capable de mettre à exécution ses menaces envers l'excentrique blonde. Voilà qui ferait pourtant désordre.

« Allons, allons, z'avez jamais entendu parler d'Heidi ? J'suis sûre que si, c'est qu'el' doit êt' ben connue dans tout l'château, y en a forcément qu'en causent. D'vez avoir entendu qu'des fois, l'a ses manières à elle. Savez qu'el' vient des Montagnes ? Sûr'ment qu'là-bas, y font pas pareil qu'ici, pour c'qu'y y'est correc' ou c'qu'y y est point, et c'qu'y s'dit ou s'dit point. »
commença-t-elle à plaider pour sa cliente, sans se soucier de l’éloignement géographique de ses propres origines, qui la mettait dans une position bien peu propice à ce genre de remarque. Elle reprit avec un clignement de l’œil entendu pour Mona :
« Pis 'savez, c'est vrai qu'y'a pas d'malice chez el'. Jus' la langue qui fonctionne un peu p'us vite que l'reste. L'a dit ça sans réfléchir, si vous voyez c'que j'veux dire. »

Lawena serait-elle prête à faire passer sa cliente pour innocente ? Assurément, oui. Et puis, c’était bien vrai que Heidi restait un peu... spéciale, si on voulait rester dans du pas trop négatif. A moins d’être totalement sourde aux rumeurs, la garde en avait forcément eu quelque écho. Et l'ex-esclave n'avait aucun remord de procéder ainsi puisque c’était pour la bonne cause : la sauvegarde d'une écervelée, certes, mais à laquelle elle tenait quand même. Et bien que les affaires constituent l'une des motivations de la teinturière, dans le fond, à force de fréquenter l'excentrique montagnarde, elle en était venue à l’apprécier d'une certaine manière.

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L'insolente petite blonde ne semblait pas comprendre la raison de la rage de Mona. A n'en pas douter, elle faisait l'innocente: on ne déballait pas comme ça une insulte pareille à quelqu'un réputé pour avoir le sang chaud! Elle mourrait d'envie de laver cet affront de trop dans le sang. Pauvre fille, une phrase en surplus au mauvais moment devant la mauvaise personne et y perdre ses deux yeux! Des beaux yeux bleus nota Mona à travers le voile de sa colère. Ces beaux iris d'azur, elle allait les faire sauter de la pointe de son poignard pas plus tard que tout de suite si personne ne s'interposait. Gardien adorait gober les globes oculaires du gibier, alors pourquoi pas ceux d'une jolie biche aux cheveux dorés?

La garde tira son couteau de chasse de son étui pendu à sa ceinture. C'était une lame à un seul tranchant, très lourd, avec un manche en bois enroulé dans du cuir encore maculé de sang. C'était un achat que Mona avait fait après avoir revendu quelques peaux de bêtes chassées dans la forêt. Elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux: c'était la première chose qu'elle avait acquit elle même avec de l'argent qu'elle avait gagné. C'était également avec qu'elle avait tué son premier homme et il lui semblait que dans sa main, le couteau frémissait de joie à l'idée de se gorger à nouveau de sang humain.

Mona commença à lever son autre main pour saisir la blondinette par le col et l'empêcher de gigoter durant son énucléation, au moment où la ramasseuse de graines s'interposa. Visiblement, elle ne s'était pas aperçue des projets de la garde vis à vis des yeux de la noble, mais elle réussi à déchirer le voile rouge devant les yeux. Elle papillonna des paupières, puis d'un mouvement vif, rangea son couteau.

"Ça n'excuse pas tout!" feula-t-elle à l'avocate improvisée, avant de se tourner vers la montagnarde. "Les types que vous avez entendu m'appeler comme ça, vous les connaissez?"

Cette oie blanche s'en sortait pour cette fois, mais les autres, probablement de ses collègues, allaient eux passer un très sale quart d'heure.

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Heidi tourna un regard reconnaissant vers Lawena. Était-elle aussi célèbre que cela ? Elle se sentit flattée. C'était vrai aussi qu'elle avait ses manières à elle, des manières des Montagnes. Même si elle avait déjà beaucoup changé depuis son arrivée, il restait des façons de Cerf qui lui étaient étrangères. Parfois elle ne comprenait pas, ou elle était mal comprise. C'était assurément ce qui avait dû se passer.

Qu'avait-elle bien pu dire de mal ? La catin du chien ? Mona avait bien un chien, on n'allait pas lui dire le contraire ! Elle dévisagea Gardien, qui avait l'air agressif derrière les jambes fuselées de la garde. Oui, c'était bien un chien, pas un chat, pas un loup, pas une hyène ! Un bête chien. Alors, la catin ? Une catin était une femme qui avait tous les hommes qu'elle voulait. Elle l'avait entendu dire de Mona, mais c'était assurément un compliment fort enviable... La grande rousse les mettait tous à ses pieds, y avait-il de quoi se vexer ? Elle avait même pensé lui demander conseil dans ce domaine.

C'était à n'y rien comprendre, et la Montagnarde abandonna ses réflexions pour reporter son attention sur la garde, tandis que Lawena poursuivait son gentil plaidoyer. Ses yeux alors s'agrandirent. Était-ce un couteau qu'elle avait vu briller dans sa main ? Pour la première fois, une lueur de défiance s'alluma dans les yeux de la blonde, et elle se prépara à se défendre. Elle n'avait pas d'arme, mais elle s'était déjà battue, et sa carrure robuste valait bien celle de Mona.

Et puis l'éclair disparut, et elle se demanda si elle avait bien vu. Elle espérait l'avoir rêvé, car cela portait un coup à son humeur joviale. C'est donc avec un semblant de sérieux qu'elle répondit, sincère mais refroidie :
- Juste de vue. Il y avait un grand blond avec les cheveux mi-longs, et un autre, brun, encore plus costaud - pas mal du tout entre vous et moi - avec un nez en bec de pigeon. Masque, ou quelque chose comme ça.

Il ne lui vint pas à l'esprit qu'elle était en train de dénoncer son prochain. Mais après tout, elle ne voyait pas l'insulte. La menace, par contre, lui était apparue.

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[HJ : dsl pour le délai, j'ai eu du mal à rebondit là-dessus, malgré le rembourrage d'Heidi ]

Lawena en aurait soupiré de soulagement, si la situation n'avait pas gardé, malgré l'apparition du couteau, un côté comique qui l’empêchait de réellement croire à un dénouement sanglant. La présence de Heidi qui faisait ça, sûrement. Mine de rien, elle avait quand même détaché sa cape, avec l'intention de la balancer à la figure de la plus furieuse des protagonistes, pour le cas où elle laisserait vraiment la colère l'emporter.
Répondant seulement d'un haussement d’épaules à Mona, qui se calmait suffisamment pour qu'elle n'ait pas à se mêler de séparer deux folles furieuses, elle laissa donc les deux femmes s'arranger entre elles pour la suite. Ce qui l'arrangeait bien, mais ne l’empêcha pas de garder la pièce de tissu potentiellement salvatrice à portée de main.

« Au fait, c'est quoi vot' nom ? »

questionna-t-elle comme un cheveu sur la soupe, mais aussi histoire de, une nouvelle fois, détourner l'attention. Si elle s'en abstenait, Heidi était bien capable de sortir de nouveau quelque chose d'aussi énorme qu'elle. Et puis, c’était vrai que la garde ne s’était pas présentée, alors que toutes les deux lui avaient donné leurs noms.