One years ago...

- Si t'as pas envie d'le faire, t'le fais po, et pis c'est tout!

Pour la énième fois, Flèche rabâchait le même discours à un mioche venu pleurnicher et il fallait bien l'avouer, ça commençait à la s'couer!
Déjà, ce Goeric lui filait des fourmillements au bout des doigts, comme si ça lui démangeait d'en user pour filer des coups de poing. Et puis les geignardises, ça lui filait des impatiences dans l'fond d'l'estomac. Un truc à vous filer la bougeote jusqu'à vous chasser le sommeil d'la tête, j'vous raconte pas!

- Et vient po m'esbourdir le coquillard à coup de j'veux pas ou de j'peux pas. C'est pas à moi qu't'as à en r'dire. C'est ste marchand d'marmot qu'a la gouaille trop violente. Qu'y s'endorme la nargue et on en r'parle. P't-être bin qu'tu viendrais pas m'en r'dire. Dis-y lui un peu voir!

Sur ce, y a pas grand monde qu'aurait compris ce qu'elle disait, mais la Flèche, elle l'avait dit pas de doute! Et même que, non content d'avoir cru comprendre, le gamin à qui elle s'adressait, un petit calibre de trois pommes de haut, pas plus, se carapatait, les sourcils froncés et les lèvres remuantes, dans l'espoir de rien oublier de ce que Flèche avait dit et qu'il comptait bien répéter à qui de droit.
Le voyant partir, Flèche ne put que regretter ses paroles, suspectant que ce serait celles de trop.

Arrivé près de Goéric, l'ardeur un peu refroidit, le mioche en question, Badine de son prénom et Dadou de son surnom, resta là à ne rien dire quelques instants, l'air d'avoir une forte envie de faire pipi.
Quand, finalement, il prit le parti de s'exprimer, il le fit à toute vitesse:

- J'veux paaaaaas r'tourner dans la cage aux poulets au père Pillon, j'veux paaaaaaas! Pourquoi faut toujours qu'ce soye moééé. Y en a marre qu'ce soye toujorus moéééé. Et pis t'as pas à m'esbourrr... M'esbau... M'embourbir!! Le...

Ne sachant plus trop ce qu'il était censé dire, Dadou s'arrêta là, des larmes plein les yeux et un gros caprice rentré dans la gorge. A court d'arguments, le petit croisa les bras, prit son air le plus buté et conclue:

- Bah Flèche, elle dit que j'ai pas à l'faire si je veux pas.

Ce qu'il semblait oublier, le p'tit gars, c'est qu'il appréciait particulièrement les oeufs que toute la troupe, à l'aide d'un plan magnifique mit en place de main de maitre par Goeric, pouvait ainsi subtiliser. Et le pire, c'était que des petits gabaries comme lui, y en avait pas d'autre. Et qu'un petit gabarie il fallait pour entrer dans la cage et l'ouvrir. S'il avait eu un peu de mémoire et un soupçon de jugeote, le marmot, il se serrait rendu compte que son petit sacrifice n'était rien, comparé au résultat final.
Mais chuut, on ne raisonnait pas un enfant de 5 ans. Surtout quand sa "grande sœur", fatiguée de l'entendre chouiner, avait fait l'erreur de lui donner en parti raison.

Pendant tout ce temps là alors que la Flèche tentait de mettre le bazar dans sa troupe de gamins, Goeric attendait que tout le monde soit en place pour le « plan » des œufs. Appuyé contre un arbre, non loin de là, une brindille de blé dans le bec, il fit pas gaffe au début, que le gamin qui était le point clé du plan, se tortillait comme un vert, avant qu’il explose pour lui dire qu’il voulait plus’lfaire.

Goeric le laissa causer, fallait bien qu’il se vide, il paraissait tout constipé du cerveau. Pis tout ce qu’il babillait là, ça l’énervait un peu quand même. Une fois sûr que le mioche avait finit, il le regarda un moment en silence.
Pis il lui colla une taloche derrière le crâne, là où ce que ça claque bien.

- T’es bête ou quoi ? Si t’y va pas personne peut grailler alors…t’veux qu’les mioches crèvent la dalle ? Ou alors t’ira pêcher tous les jours avec les marées dans l’froid et l’vent tout plein d’sel pour compenser, c’est ça ??

Le mioche commençait déjà à pleurnicher en se frottant la tête, marmonnant des paroles quasi-incompréhensibles dont le seul mot que Goeric reconnut fut « Flèche » …Le gamin essuya sa morve d’un revers de manche sale. Goeric lui caressa la tête et s’accroupit pour être à sa hauteur.

- Y’a qu’toi qui peut-l-faire, tu comprends ? T’es le seul suffisament ptit pour que ça passe…sinon jel’ferais, tu’l sais bien. Allez viens, faut y aller.

Il accompagna le troupeau de marmaille et ensemble, ils mirent leur plan à exécution. A nouveau, ils piquèrent toute la couvée d’œufs du jour. Pour sûr, tout le monde mangerait ce soir et demain.
Mais depuis quelques jours déjà, le nom de « Flèche » revenait trop souvent à son gout. Et ça, ça lui plaisait pas du tout. Pour qui elle s’prenait la bourgeoisie là !?

Il attendit qu’les gosses dorment profondément, fallait pas longtemps. A courir toute la journée pour survivre au bourg, ils étaient bien fatigués le soir. A pas de loups, il sortit de leur cachette et s’engouffra dans la nuit. Il savait bien où qu’elle habitait la Flèche, et une discussion s’imposait. Il accepterait pas qu’une donzelle qui dormait bien au chaud chez elle, et avait de quoi manger tous les jours vienne faire sa loi chez lui.

En bas de la maisonnette, il se munit de quelques cailloux du chemin et en lança un sur le volet le plus haut. On mettait toujours les gosses sous les toits. Il jeta donc son projectile et se camoufla dans un buisson plus bas, juste au cas où. Comme rien ne bougeait il jeta un autre caillou. Quelques instant après, le pan de bois s’ouvrit dans un grincement et il reconnu le visage de celle qui sapait son autorité. Le torse bombé, il sortit de sa cachette et leva la tête vers elle. Pointant un doigt accusateur dans sa direction, il lâcha :

- T’as intérêt à descendr’dla haut ! Faut qu’on cause.

Au moins, le mioche lui avait lâché la grappe. Et ça, c'était pas du luxe. Repartie à ses propres affaires, Flèche n'avait pas chaumé. A tel point, qu'elle avait déchiré sa tenue préférée! Un beau trou sur la fesse droite, tout ça pour avoir tenté d'entrer voir ce qu'il se passait chez les riches d'en haut du bourg.
Coupée dans son élan, et son orgueil, ça va sans dire, elle s'était résolue à faire demi-tour et à passer une soirée calme la lumière de sa bougie.
L'aiguille à la main, elle se serait attendue à tout sauf au son d'un caillou contre son volet.
Croyant d'abord une mauvaise blague, elle n'avait même pas pris la peine de se lever. Ce n'est que la seconde fois qu'elle posa son ouvrage et se rendit à la fenêtre pour, perplexe, en pousser le battant.

Plait-il? Interrogea-t-elle d'un sourcil circonspect. En découvrant Goeric, au pied de sa maison, elle sentit son étrange pressentiment de fin d'après-midi la rattraper. Dadou... Il avait fait des siennes. Et maintenant, c'était à elle qu'on venait en reconter.

Les lèvres pincées, elle les desserra à grand peine, le temps d'un:

- Qu'est-ce tu m'veux? Peu amène. J'ai rin à t'dire.

Elle l’envoyait sur les roses….Elle avait foutu le bordel au sein du groupe de gosses et maintenant elle l’envoyait bouler l’air de rien, comme si elle n’était pas concernée. Cette attitude finit de mettre Goeric exceptionnellement en colère. Pour qui se prenait-elle cette petite mijaurée ??
On ne venait pas sur le territoire de Goeric poser des bombes pour s’en laver les mains ensuite. Elle allait voir ce qu’elle allait voir. Il posa ses poings sur ses hanches, et contempla un instant le sol. Il finit par secouer la tête d’un air désolé.

A nouveau il leva son visage dans sa direction. L’expression qu’il afficha paraissait particulièrement mauvaise. Les ombres de la nuit jouant naturellement sur son visage, caressait sa cicatrice et lui donnait une allure inquiétante. Sa bouche se déforma en un rictus peu avenant alors qu’il lui lança :

- T’as intérêt à ramener tes miches ici, si tu veux pas que j’réveille tout l’quartier….ou pire…si t’veux pas qu’il arrive des bricoles à ta baraque.

Il aurait pu pousser la menace en lui donnant un délai du genre « je compte jusqu’à 10 », mais il ne savait pas compter de toute façon.

Des menaces? Uh...? Sérieux? Il manquait pas d'air çui la! Est-ce qu'il savait au moins à qui il avait à faire?
Pour sur que oui, Goéric et Flèche se connaissaient depuis un petit bout de temps, maintenant, ce qui étonnait d'autant plus Flèche. Ne savait-il pas que la demoiselle avait un petit soucis avec les limites et que venir la chercher était souvent synonyme de gros problèmes et de situation génante?
Énervée autant qu'intriguée, elle posa un regard noir et lourd sur Goéric avant de dire:

- Bien. J'arrive. C'est qu't'as des manières à rapprendre et faut bien quelqu'un pour t'les dicter.

Ouh, voila une réplique qui dégoulinait de menaces et de mauvaise foi venant de la pire sale gosse du périmètre.
Aussi tôt dit, aussi tôt la miss disparu de cadre de la fenêtre, l'air d'être partie vers les escaliers et la porte de devant. Sauf qu'elle avait plus d'un tour dans son sac et, surtout, qu'il y avait beaucoup plus discret comme chemin. Le temps de se glisser par une fenêtre, d'escalader quelques murets et autres supports plus bancales, et Flèche se retrouvait à quelques rues de là, sur un terrain qui, elle l'espérait, lui serait plus propice que le pas de sa porte.

A parti de là, deux choix possible. Soit Goéric l'a repérée (pairs), soit il ne l'a pas repérée (impairs).
Damn, repérée! Difficile d'être silencieuse quand les planches vous servant de chemin tanguaient sous vos pieds. Souple et agile comme un chat, Flèche n'était pas moins une ombre se découpant sur fond de nuit. Au premier pied se posant sur le plancher des vaches, elle s'accroupit, silencieuse, et observa les alentours à la recherche du prochain geste à effectuer.

Le membre 'flèche tigraine' a effectué l'action suivante : Le hasard en action

'Hasard' : 4

Impatient, Goeric croisa les bras et commença à tapoter du pied sur le sol. Bon sang, ce que les gamines pouvaient être longues à se bouger. A contrecœur vraisemblablement, elle lui intima qu’elle descendait en y ajoutant une menace sur les bonnes manières. Peuh, qu’avait-elle à lui apprendre ? Venant d’elle, surement comment embobiner les gosses qu’il employait. Si c’était de la bonne manière ça !
Bon, elle disait descendre mais elle était toujours pas là !
Il entendit du bois craquer et tendit le cou dans cette direction. Au loin, il vit une ombre fureter derrière la maison. Plissant les yeux comme si cela lui permettrait de mieux y voir la nuit, il reconnu la démarche féline et discrète de sa cible qui tentait de…de fuir ???

- Ah non pas question, marmonna-t-il avant de se jeter à sa suite.

Il ne connaissait pas bien le terrain, mais d’une nature un peu sportive à force de courir pour éviter les ennuis, il déambulait aisément, même de nuit et avec le pied sûr.

- Essaye pas de fuir ! On a des choses à régler toi et moi ! cria-t-il. Et au loin, un aboiement de chien fit écho à sa voix dans la ruelle sombre.

Même si elle lui échappait ce soir, il reviendrait demain, après tout, il savait où elle habitait.

Fuir? ce n'était tellement pas son genre! Mais, au moins, la méprise fut l'occasion, pour Flèche, de reprendre le dessus. Sans tergiverser, elle se faufila derrière sa maison, s'enfonçant plus profondément dans l'obscurité pour mieux donner raison à son poursuiveur. Une fois le coin du bâtiment franchit et la fuite initiée, elle s'arrêta sur place, fit demi-tour et attendit là que Goéric la rejoigne, prête à lui coller un taquet bien mérité.

Dans le noir, et venant d'un intérieur éclairé, difficile de viser correctement, aussi Flèche dut-elle e contenter d'un coup d'épaule grossier tout juste bon à bousculer un gamin. Goéric, quand à lui, en ferait à peine un pas de côté. Ridicule!

Hargneuse, Flèche tenta d'en remettre une couche en le poussant contre le mur.

- Tu t'prends pour qui, l'balafré! T'sais pas qu'on dérange pas une dame?!

Le pousse encore.

- Et tu m'donnes pas d'ordre, chuis pas ton larbin!

Namaioh!!

Il faisait trop sombre. On y voyait rien ici, autant dire comme dans de la fesse de vache. Goeric soupira, agacé par cette situation. Pourquoi devait-il courir après une donzelle à cette heure tardive de la nuit ? Pestant, il bifurqua derrière la maison de la Flèche et c’est là qu’elle lui tomba dessus.
Elle lui mit une bourrade tout juste bonne à le faire reculer d’un pas, et continua à le pousser tandis qu’elle l’insultait et tâchait de se donner des grands airs.

La force qu’elle essayait de mettre dans son petit corps tout frêle accompagnée de ses paroles virulentes fit sourire le jeune garçon. Il la trouva ridicule, et un large sourire émergea sur son visage. Sourire qui se transforma en réel rire quand elle continua à jouer les grandes Dames.

Il faisait bien une bonne tête de plus qu’elle et l’image qu’elle lui renvoya lui fit penser à un gamin, donnant des coups dans un mur. Soit elle s’épuisait toute seule après s’être blessé, soit il devait l’arrêter.
Sans cesser de rire, il attrapa ses poignets. Là encore il se rendit compte à quelle point elle était maigre, comment une gamine si rachitique pouvait autant se la raconter ?

- Hey Oh, commença-t-il. Calme toi tu vas t’faire mal idiote. Et au cas où tu l’aurais pas r’marqué, pour être une Dame, faut avoir un minimum de bosse sous le corset. Une planche à pain, spas une Dame, sjuste une planche à pain.

Le ton était moqueur et la colère qu’il avait ressentie à son égard ces dernières heures était retombée au moment même où il s’était rendu compte que la Tigraine, cherchait simplement à survivre, comme chaque gamin des rues dont il avait la charge. Elle se battait, de ses faibles forces certes, mais elle se battait quand même. Il la relâcha et planta ses poings sur ses hanches avec fermeté.

-J’veux juste que t’évite de venir retourner le cerveau aux gamins de la bande. On a faillit pas bouffer à cause de toi, s’pas toi qui doit supporter vingt gosses qui pleurent de faim après.

Crocs à découverts, Flèche s'apprêtait à mordre Goeric quand ce dernier la relâcha. Alors, toute étourdie, elle ne sut plus que faire et se contenta d'ouvrir de grands yeux interrogatifs.

En manque de contenance, elle finit par froncer les sourcils, regarder tout autour d'elle pour vérifier que personne ne les avait vu et prendre une attitude décontractée. Ce qui ne fut pas aisé après une bonne minute passée à batailler mais qu'elle sut négocier avec un minimum de panache.

Avec tout ça, le temps d'accorder un peu d'attention à ce que disait le jeune homme et elle secouait la tête, virulente et furibarde:

- J'leur retourne rin du tout! Ils viennent me voir, stout. J'leur demande même pas toujours comment qu'ils vont. La plus part du temps, jsuis juste posée là à m'occuper de mes affaires et ils me donnent un coup de main. Lors s'tu veux plus qu'y viennent me voir, t'as qu'à leur dire, on verra bien si tu sais t'faire écouter, m'sieur le chefaillon.

Et vas-y que je te fais une moue méprisante et que je me moque:

- Mais bon, l'âge, tout ça, je comprends que ça devienne difficile pour toi. Faut pas t'en vouloir, ça arrive aux meilleurs.

La pique fit mouche. Instantanément. Cette petite pouilleuse était entrain de le traiter d’incapable. Pire, elle se vantait avec mépris. Comme d’habitude, elle se la jouait grande fille, mais ne savait très certainement pas de quoi elle parlait.

Gérer une ribambelle de gamin, les nourrir, les surveiller, tout ça elle ignorait ce que cela impliquait dans la vie du jeune garçon.

Il posa ses poing sur ses hanches et la regarda de haut, sans aucune gêne, il faisait bien une tête de plus qu’elle.
Avec la lumière de la lune, son œil teinté par la brûlure luisait, vif et brillant. Il la jaugea un instant et sa bouche émis un léger « tssss » avant de s’armer d’un sourire carnassier au milieu de la rue déserte.

- Tu crois pouvoir mieux faire la Flèche ???Tu crois qu’ tu peux joueur leur bonne copine quand ça t’arrange ? Les mioches, c’est tous les jours que ça dmande de l’attention, pas juste quand t’as envie.

Le sourire toujours posé sur ses lèvres avec un air railleur, il croisa ses bras sur sa poitrine avant de reprendre :

- J’te mets au défi. Occupe-t-en rien qu’une semaine. Je te donne pas trois jours avant de vnir me supplier de les rprendre.

Il était sûr que la fierté de cette fille accepterait sans aucun souci. Alors, peut-être qu’elle comprendrait que ce qu’il faisait avait un sens et permettait à des enfants de survivre.

Sa fierté, oh oui, Goéric pouvait compter dessus. Mais sûrement pas pour lui faire endosser des responsabilité. C'est que la Flèche n'aimait vraiment pas ça, ce genre de liens. Encore moins que de se sentir ridicule, c'était dire!

- T'es pas fou, toi?! Tes mioches, tu te les gardes, hein. C'est qu'j'ai un vrai boulot, moi.

L’argument avait beau être de taille, Flèche se sentait quand même mal. Rapport au fait que Goéric avait pas tord, peut-être.

- Enfin bon... J'imagine que si t'as b'soin d'un coup d'main, à l'occasion, ça peut s'arranger. Si tu veux d'la bouffe, j'ten trouve à la pelle. Par contre, la marmaille, tu t'la gardes. J'ai jamais signé pour que 20 braillards me suivent à la trace.

Se fouille le futal consciencieusement et en ressort une pièce qui brille drôlement.

- tien, t'as qu'à prendre ça et l'changer en prunes. Dadou l'aime bien les prunes et l'est pas l'seul.

Pis fout moi la paix qu'elle sembla rajouter en fin de phrase. Elle l'avait bien mérité, non?

Il attrapa la pièce qu'elle lui tendait sans toutefois baisser sa garde.

- J'en veux pas de ta pièce pourrie et de tes prunes, commença-t-il avant de ranger la-dite pièce pourrie dans sa poche. On a pas le luxe de choisir s'quon bouffe. Tu t'crois maline avec ton sois-disant boulot?

Il boudait. Non, c'était pire que ça. Flèche avait un toit, un boulot, de l'argent. Pourtant, elle semblait rejeter cette vie, tout en la faisant miroiter aux gamins qui n'avaient plus ni famille, ni foyer, ni même vrai repas chaud.
C'était cruel.

Parfois il avait envie de la gifler, mais il ne pouvait se résoudre à violenter une fille, même une planche à pain.

-Les plus jeunes voient en toi une mère qu'ils ont jamais eu. J'y peux rien. Alors faut faire attention à s'que tu leur dit. Ils se jetteraient dans la rivière si tu leur disais de le faire. Tu vois le problème? Alors fait pas comme-ci t'en avait rien à fiche d'eux, où alors, faut plus que tu les vois. C'est pas bon pour eux.

Là, c'était dit. La réalité, c'était que Goéric en avait marre de se battre contre tout, même contre ceux qu'il était censé protéger. Peu importe qu'on le comprenne ou non, il était fatigué de cette situation. Tandis qu'il parlait, son regard et même sa voix se firent plus tendres, comme empreint d'une compassion non feinte. Ses gosses, il en était responsable et il voulait les voir vivre.

C'était la première fois que la confrontation entre ces deux-là en venait si loin. La première fois qu'ils s'expliquaient à coeur ouvert. Et y a pas à dire, ça faisait mouche.
Flèche pouvait bien accuser le coup, chercher la prochaine cible où viser, elle savait justement trop bien comment s'y prendre. Pourquoi mettre à terre un ennemi qu'on ne comprenait autant? Parce qu'elle n'avait pas le choix, tout simplement.

- T'y connais rien, refusa-t-elle en bloc. T'sais pas qu'est-ce que tu d'mandes. Stu veux assurer pour les p'tits, c'est ton problème, moi la famille, j'ai donné et va pas croire que t'arrivera à bricoler un bout qui tient de c'que j'ai eu. C'est trop d'y penser et encore plus de d'mander. Alors commence même pas de penser, j't'arrête.

Elle secouait la tête et reculait pour mieux fuir.

- La famille, c'est rien que d'la tristesse.

Commence à s'embrouiller alors que des larmes d'énervement débordent de ses yeux, ce qui a le don de l'énerver encore plus et de la rendre plus combative.

- La famille, tu crois que tu peux pas t'en passer mais la vérité c'est qu't'as pas le choix. Un jour où l'autre faut s'en passer. Alors tu gardes ta pièce et tu prends tes prunes, c'est tout ce que t'auras d'moi. J'suis la tante qu'on aime bien mais qu'on appelle pas en cas d'coup dur, compris?

Le dernier mot résonna dans la nuit, trop aigu pour être vraiment convaincant.

Incrédule, il la regardait pleurer. Flèche et pleurer, deux mots qui ne s'accordaient jamais. Il regretta un instant de l'avoir mise dans cet état mais par El...c'était mérité non ?
Fallait bien que quelqu'un la secoue un peu.

Les mots qu'elle prononçaient étaient justes et douloureux et le jeune garçon comprit bien vite que sous ses airs farouches, la Tigraine elle avait un coeur. Seulement voilà, ce coeur, elle voulait pas qu'on le prenne pour le dépiauter.

Il soupira bruyamment. Ah les filles!! Finalement, elles étaient bien toutes les mêmes, toujours à chialer pour tout et n'importe quoi. Il se sentit heureux d'être un garçon tout à coup.

- Allez, calme toi donc...lâcha-t-il tout en lui tapotant l'épaule.

Sa voix s'était adoucit pour tâcher de la consoler, mais comment consoler une fille? Il espéra que ses coups sur l'épaule n'étaient pas trop durs, mais la voyant tanguer à chaque coup, il décida d'arrêter.

Il se racla la gorge et fit quelques pas avant de tourner son visage vers le ciel nocturne.

- Toi et moi, reprit-il d'une voix lointaine, on a pas eu de bol avec nos familles. On a pas eu de bol tout court avec la vie jusqu'à présent, alors...(il hésita) pourquoi on essaierait pas de former notre propre famille avec les gosses? On pourrait les protéger et rendre leur vie meilleure, bien meilleure que ce qu'on a eut tous les deux.

Il tourna son visage dans sa direction et la lune éclaira un instant son visage brûlé.

- Seulement voilà, j'ai besoin de toi pour y arriver, même si ça m'énerve de devoir l'avouer.

Il ronchonna un instant puis lui tendit la main, espérant que la réponse ne soit pas trop cinglante.

Raaaahh!! Il comprenait rien avec ses tapes sur l'épaule! Et en plus il la faisait tanguer, lui mettant sous le nez sa faible constitution! Inacceptable!
Flèche le repoussa d'un geste mal contrôlé et un peu ridicule, du genre qui s'en prend aux moustiques mais jamais ne les éloigne ni ne les atteint. Un geste inutile, en somme.
Tout comme sa façon d'ignorer Goeric et ses paroles qui font mouche. Obstinément, elle regardait ailleurs, se tournait de trois quart, lui opposait mépris et indifférence.

Jusqu'à ce qu'il se montre hésitant. Etait-ce une faille qui se profilait? S'enquit Flèche d'un regard en coin. Sa première idée fut de sortir les griffes et d'attaquer. Sans pitié.
Mais il y avait quelque chose de différent; la joute verbale prenait une tournure inquiétante et intriguante à la fois.

Les protéger... rendre leur vie meilleure...

Goeric parlait-il de prendre leur vie en main? De donner un sens à la vie de Flèche?

Il devait être fou.

A la main qu'il lui tendait, le sang de Flèche ne fit qu'un tour avant qu'elle prenne ses jambes à son cou.

Sans un mot, sans prévenir, sans rien.