Avoir quelqu'un chez elle n'était pas ce que Chance avait attendu pour sa journée. Elle préférait de loin la solitude de ses potions. Même si la jeune fille n'était pas un hôte désagréable. Malgré ses caprices de blessés. Chance lui cherchait des excuses et surtout le fait de savoir que le soir elle serait soignée, réparée et chez elle donnait à la sorcière des Haies une bien grande satisfaction.

Mais hélas, les astres n'étaient pas avec elle. Loin de là.

La petite malade lui déclare de but en blanc son intention déguisée de rester. Une nuit de plus. Pour de bonnes raisons, certes. Mais Chance n'était pas un lieu médical. Que dire et que faire. La jeune femme était dans une impasse, entre son devoir de sorcière, sa conscience et son envie. Les trois n'était pas en harmonie.

"-Tu n'as pas un autre endroit? Ami? Oncle?"

Un simple non de la tête pour réponse.

- J'vous embêterai pas.

Et elle croisait les bras, le regard sombre et planté dans celui de Chance en attendant le verdict.

Chance la regarda en coin, le visage en pleine réflexion interne.

"-Ai-je le choix????"

La sorcière se dirigea vers l'entrée de sa maisonnette.

"-Entre, manque plus que tu chopes un nez qui coule."

Si elle avait le choix? Pas vraiment ne manqua pas de penser Flèche, ce qui la mit immédiatement en rage, d'une rage à peine plus vive qu'une braise et aux senteurs de désespoir alors qu'elle suivait Chance à l'intérieur de la chaumine.

- C'est pas pour longtemps... Et j'pourrais! Euh... Classer vos plantes! J'ai pas pu m'empêcher de noter qu'c'était l'bazar dans vos réserves. V'zavez mis la fougère du roi à côté d'le mord'loup. Y font pas bon ménage c'deux-là. vous allez vous r'trouver avec des mélanges pas agréable.

Chance releva le nez sur ses étagères. Quoi c'était mal rangé!!! C'est juste qu'elle avait mieux à faire que de trier tout ça, puis elle s'y retrouvait dans son ordre. Mais la gamine avait raison sur une chose, il ne fallait pas qu'elle est de mauvaises surprises avec un mélange non voulues. Puis un coup de main n'est pas à négliger, surtout pour du rangement.
Mais surtout Chance nota sa connaissance en matière de plantes. Même si ça peut être juste un coup de chance, sur ces deux plantes là.

"- Tu t'y connais en plantes?"

Fière comme un paon:

- Et pas qu'un peu!

Chance jugea la gamine un instant, de son œil perçant de sorcière, cherchant à percer le mystère
Puis elle lui montra de la paume de la main son étagère à herbes.

"-Je t'en prie, montre-moi ce talent."

Pour de vrai?
A la boutique, sa mère la laissait ranger et empaqueter les plantes ainsi qu'il convenait pour leur bonne conservation et disposition au regard du client. Mais toujours elle devait le faire selon la volonté d'Hélia.
Si on lui demandait son avis, Flèche pensait que quelques arrangements n'aurait pas fait de mal.
Sérieuse comme un pape.

- Pour bien s'occuper de ses plantes, faut pas moins qu'un coffre et un placard. Si vous pouvez, une commode, c'est ce qu'il y a de mieux. Avec des tiroirs qui roulent pas. Pour un rangement facile, c'est magique. Après, vous aurez toujours une plante pour être un peu tatillonne. Une qui veut pas rester avec les autres. De toute façon, c'est simple. Le genévrier, si vous le laissez avec les autres, il va les convertir et spa pour le mieux. La camomille, la belladone, tout se met à picoter la langue et le nez et à donner des idées noires. J'vous raconte pas les rêves bizarres que ça donne quand on en retrouve dans la tisane du soir... Pour ça, y a pas mieux que la porte de derrière. On y suspend la branche de genévrier à une corde et y vous fiche la paix.

Se disant, Flèche en avait presque oublié sa blessure. Enthousiaste, elle alla pousser la porte du fond dans une tentative pour l'ouvrir. Y échouant, elle ne se découragea pas.

- Enfin, ça, j'dois pas vous l'inventer. J'parie qu'il y en a une branche suspendue derrière cette porte.

Oubliée la porte qui ne voulait pas s'ouvrir. Flèche poursuivit son exposé, évoquant les tissus qu'il fallait utiliser pour augmenter le temps de conservation des plantes, les produits qui préservaient leur usage et les combinaisons de plantes qui engendraient l'entente la plus harmonieuse entre celles-ci.
La demoiselle connaissait son affaire et prenait plaisir à réfléchir à la question. Des années qu'elle attendait l'occasion d'en parler mais elle finit tout de même par se taire, en ayant dit suffisamment à son goût. Le temps de passer à un autre sujet et d'interroger Chance à son sujet.

- Si vous êtes pas une vraie sorcière, vous êtes quoi?

C'est vrai, ça. C'est que des sorcières, il y en avait des fichaient drôlement la frousse. Des qui pouvaient se changer en vieille chouette et vous jeter des malédictions. C'est en tout cas ce que Goéric racontait aux ptits, le soir. Il savait être convaincant parfois, à tel point qu'on ne savait plus trop que croire.
Enfin, c'était pas tout, mais fallait aussi qu'elle pense à retourner s'asseoir. Pas la force d'aller jusqu'à son lit de fortune. Flèche se contenta d'une chaise qui se trouvait là et s'y assit autant qu'elle s'y effondra.

Mais c'est qu'elle s'y connaissait cette foutue gamine. Elle avait bien raison sur bien des points, ce qui fit rager intérieurement Chance, qui se le gardait bien pour elle.
Il fallait dire que la sorcière des Haies préférait son fouillis que la rectitude des espaces de rangements. Là au moins, elle était seule à comprendre le pourquoi du comment, à quoi servait telle chose. Là tout ranger, signifiait enlever une part du mystère, une zone d'ombre. Et elle en avait besoin pour faire tourner sa boutique. Et ça malgré le raisonnement très juste. Un jours, elle y mélangerait deux ingrédients antinomiques.

"- Au lieu de raconter n'importa quoi, repose toi donc. Ta blessure est encore vive et tu as besoin de force. Si tu veux un accord pour rester un peu, il va en falloir plus que s'y connaitre. Je ne veux pas d'une blessée sur les bras. Alors contenance tes forces. "

Oui, à bouger dans tous les sens, la fillette mettrait bien plus de temps à se retaper, donc plus de temps à rester. Et ça pour Chance, ce n'était pas une veine.

Mais chance scellait là une sorte de pacte, Flèche restait. Du moins, un temps.

"- Ta famille ne s'inquiétera pas de ta non présence? Je ne veux pas de soucis, moi!!! Ca c'est pas bon pour mes affaires. "

Elle aurait voulu le dire tout bas, mais la parole dépassa sa penser.

- J'raconte pas d'bobards! Y a tout qu'est vrai, s'offusqua Flèche avec ce qui lui restait d'énergie.

C'est que la demoiselle n'aimait pas trop qu'on remette en doute ses propos, quand bien même passait-elle la moitié de son temps broder des mensonges tous plus rocambolesques les uns que les autres. C'est qu'elle avait une grande honnêteté du coeur et qu'elle y tenait, aussi difficile que ce concept soit à comprendre. Et du coeur, elle en avait à revendre quand venait le moment de prouver sa compétence.
Finalement convaincue par les propos de Chance, elle se tue tout de même, vaguement radoucie mais toujours un peu sale gosse.

Non, commença-t-elle par faire de la tête, signifiant que personne ne s'inquiéterait. Jusqu'à se rappeler un détail.

- Ma mère, l'a l'habitude. Mais Goéric, va p't-être me chercher. J'sais pas bien avec lui. Des fois, y va m'dire "qu'est-ce tu m'encombres la tête avec des infos inutiles?!" quand j'lui dis c'que j'ai prévu d'faire d'ma peau. Pis d'autre, y va m'rabrouer sec parce que j'ai pas de tête à penser aux autres et à dire c'que j'y fais.

Hausse les épaules, dépitée. Ah, les hommes!