Mélisse aurait aimé qu'il en dise plus sur l'Art. Elle n'y connaissait pour ainsi dire rien, mais il s'agissait d'une forme de magie, quelque chose qui était donc largement digne d'intérêt, et de la trop grande curiosité de la femme. Néanmoins, elle compris qu'elle n'en saurait pas beaucoup plus. Peut-être n'avait-il tout simplement pas le droit d'en parler ? Pour une fois, Mélisse sut se tenir et n'insista pas pour soutirer des informations à son invité. D'autant qu'à en juger par la ride dessinée entre ses sourcils, le sujet ne lui plaisait pas beaucoup. La conversation glissa donc sur un sujet qui semblait moins dérangeant pour Vaillant.

- Je n'en doute pas, encouragea-t-elle le jeune homme.

Mais du château non plus il ne parla pas beaucoup. De manière générale, Vaillant ne semblait pas homme à faire la conversation. Pas facilement du moins. Sa dernière remarque tira un sourire à Mélisse. Il y avait du vrai.

- Tu n'as pas tord, concéda-t-elle en acceptant qu'il remplisse son gobelet. La force de l'habitude probablement. En général les gens viennent me confier leurs problèmes pour que je les résolve, personne ne vient me demander comment je vais.

C'était une simple constatation, sans apitoiement. Son métier était ainsi fait. Elle était une épaule sur laquelle on pouvait venir verser ses larmes. Une figure forte, douce et maternelle que Mélisse entretenait pour aider ses clients. Mais ce métier empiétait fatalement sur sa vie personnelle. Elle l'aimait ainsi et ne s'en plaignait pas.

- Et puis, la vie des autres est tellement plus passionnante que la mienne, ajouta-t-elle. En parler ne suffirait pas à une conversation.

Qu'y avait-il à raconter sur sa vie de toute façon ? Mélisse but une rasade de vin en la faisant rouler sur sa langue un instant pour en prolonger le plaisir. Ses yeux verts se promenèrent un peu sur le visage de Vaillant, détaillant ses traits. Malgré la dureté de son regard, il avait l'air jeune. Quel age pouvait-il avoir ? Ils parlaient tout à l'heure de la fougue de la jeunesse, des folies qu'on fait quand on a vingt ans, mais les avait-il laissé si loin derrière lui qu'il le laissait entendre ?

- Quel age as-tu ? demanda-t-elle à brûle pourpoint. Tu as l'air dur, ajouta-t-elle rapidement pour se justifier, et secret, comme si tu avais vécu un demi siècle. Pourtant, tu ne semble pas en avoir le quart.

Sans parler de sa jambe qui ressemblait à une blessure de guerre.

Mélisse éclata de rire en se rendant compte qu'elle y avait effectivement été un peu fort. Mais il paraissait si sérieux et sévère. Mélisse le préférait de loin lorsqu'il voulait bien s'ouvrir un peu, comme en cet instant où il riait lui aussi, et se mit à plaisanter.

- D'accord, j'admets. Mais ne me le demande pas, s'il te plaît.

Il ne lui demanda pas. À la place, il prétendit trouver les réponses par lui-même. S'emparant d'autorité de sa main, il essaya de lire les lignes qui en parcouraient la paume. Mélisse se retint à grand peine de rire devant son air concentré tandis qu'il inventait à partir de ce qu'il savait d'elle. Les Montagnes, les Duchés, la boutique… rien de bien complique, tout était sous ses yeux. Doublement, d'ailleurs, même s'il était incapable de déchiffrer le langage de sa main. Il le prouva d'ailleurs en commençant à imaginer ce que pouvait être la vie de Mélisse. Un mari. Comme si la sorcière des haies pouvait être mariée !

- Tu as encore des progrès à faire, remarqua-t-elle avec un petit rire.

La sorcière se pencha aussi sur sa main et fit courir un doigt sur la véritable ligne de cœur, et non la ligne de tête.

- Il n'y a pas de mari, corrigea-t-elle. Puis montrant certains points : il y a eu des hommes, aucun n'est resté.

Malgré les apparences laissant penser qu'elle était tout à fait à l'aise, Mélisse avait une conscience aiguë de sa main prise dans celles de Vaillant et de la proximité de celui-ci. Sa chaleur la troublait. Et parler de sa ligne de cœur à un autre homme était… étrange. Ses clients se sentaient-ils aussi nus lorsqu'elle lisait leurs propres lignes ?

Mélisse resta silencieuse. Elle regardait sans rien dire le doigt de Vaillant suivre sa ligne de cœur. La sorcière connaissait la vie qui l'attendait, elle savait que des évènements jalonneraient sa vie, ce n'était pas très drôle de tout savoir à l'avance, mais la plupart du temps elle n'y pensait pas. Elle n'avait pas envie de prendre la vie en attendant que tout vienne. La surprise était bien plus agréable.

Comme ce déjeuner (pas encore entamé) avec Vaillant. Si elle avait su qu'il viendrait, elle aurait pris moins de plaisir à sa visite. Elle rit lorsqu'il l'accusa d'être âgée.

- D'accord, c'est de bonne guerre. Je ne l'ai pas volée celle là.

Mais sa question sur l'avenir qu'elle avait lu dans sa main, Mélisse n'avait pas envie d'y répondre. Quel intérêt de connaître son avenir ? Elle lui avait déjà dit qu'une personne entrerait dans sa vie et le suivrait des années durant. C'était suffisant. Vaillant semblait du même avis, à en juger par sa rapidité à changer de sujet. Il voulait visiter, il allait être déçu :

- Je ne pense pas que ce soit utile. C'est ici que je vis (elle montra la pièce de sa main libre) là que je range (elle désigna la porte de sa réserve) et là bas que je dors (elle montra la porte derrière le comptoir).

Son regard revint à Vaillant. En vérité, elle n'avait pas envie de bouger. Elle était bien là, assise non loin de son invité. Il tenait encore sa main sur la table, ses doigts entourant son poignet et elle n'avait pas envie de rompre ce contact. Vaillant la troublait, et elle n'était pas femme à ignorer les signes que lui envoyait son corps. Elle se demandait seulement si Vaillant était susceptible de répondre à ses avances si elle lui faisait comprendre ce dont elle avait envie.

- A moins que tu ne tienne vraiment à visiter ma chambre, mais j'en doute.

Elle mit dans son ton assez de légèreté et de distance, lui semblait-il, pour qu'il ne s'installe pas de gêne au cas où son invité ne serait pas intéressé, mais toute malice avait disparue de son visage, son sourire plus modeste était devenu une invitation et non plus une moquerie. Elle ouvrait une porte dont il était libre de franchir le seuil en toute connaissance de cause.

Pour une fois, Mélisse ne savait pas ce qu'elle devait comprendre des paroles de son vis-à-vis. Cette réponse était un peu étrange pour être une acceptation de l'invitation qu'elle avait lancée à son intention. Mais le refus n'était pas net. Peut-être était-ce ainsi que l'on s'exprimait dans les hautes sphères évoluant au château.

Dans l'incertitude, Mélisse s'en tint au sens littéral de ces mots. D'ailleurs, puisqu'on parlait de digestion (et donc de repas), il fallait surveiller la cuisson. Elle dégagea doucement sa main de l'emprise de Vaillant et se leva, presque à regret. Son corps lui envoyait des signaux que la sorcière allait devoir ignorer. Cela passerait. Elle ne voulait pas indisposer son invité.

Le poisson était cuit, elle le sortit des braises pour le placer dans une écuelle, bientôt rejoint par les pommes de terre. L'écuelle trop pleine atterrit finalement sur la table, accompagnée d'une seconde qui elle était vide. Il fallait encore départager la nourriture pour que chacun ait sa part. Les légumes furent séparés rapidement d'un coup de fourchette. Le poisson quant à lui attendait plus d'attention de la part de Mélisse. La cuisinière s'empara de son couteau dans le panier pour couper le long de l'arête centrale. Bientôt, elle eut devant elle deux assiettes au contenu similaire. Elle en poussa une vers Vaillant.

- Bon appétit, déclara-t-elle en souriant.

Elle se sentait un peu gênée, mais savait que cela passerait. Pour se donner un peu de contenance, elle se resservit du vin et en proposa à son invité. Sans même attendre sa réponse, elle s'empara de son gobelet et refit le niveau avant de le tendre à Vaillant. Mauvaise idée, finalement, elle se sentait godiche, debout comme ça à attendre qu'il reprenne son gobelet. Et ce même si l'attente ne durerait pas.

Si Mélisse avait choisi de prendre place en face de Vaillant, c'était surtout pour atténuer les messages que son corps lui adressait. S'en tenir à ce qui était prévu originellement serait un bon moyen de calmer ses ardeurs. Maintenant qu'elle ne le touchait plus, qu'elle ne sentait pas sa chaleur si proche d'elle, la tension au creux de son ventre se faisait plus discrète. Et Mélisse savait qu'elle se tairait toute seule si la sorcière continuait à ne pas lui donner satisfaction.

En face d'elle, Vaillant ne semblait pas enthousiaste. Le repas ne semblait pas lui plaire. Il poussait la nourriture avec le bout de sa fourchette comme si elle n'éveillait pas son appétit. Mélisse allait lui suggérer que sa nourriture n'était pas empoisonnée, qu'il pouvait la manger sans danger, quand il se leva pour venir tout bonnement s'asseoir à côté d'elle. Ridiculement proche d'elle. Mélisse sentait à nouveau sa présence, sa chaleur sur sa peau. Ils se frôlaient de si près qu'ils se touchaient presque. La pression de son ventre revint au galop. Beaucoup trop pressante pour que Mélisse puisse rester pleinement lucide.

Mélisse n'avait pas la moindre idée de ce dont parlait Vaillant. Peut-être était-ce lié à une anecdote de la vie de Vaillant qui lui était inconnue. A vrai dire, elle ne s'en préoccupait pas. Mélisse délaissa sa propre écuelle et se tourna vers Vaillant. Il était à quelques centimètres à peine, une distance tout à fait inconvenante selon les mœurs locales mais pas pour Mélisse. Et en cet instant elle désirait surtout réduire cette distance, si petite fut-elle, à néant.

- Je pourrais te voler autre chose, fit-elle en laissant son regard descendre ostensiblement vers les lèvres de Vaillant.

Elle essaya d'y mettre un ton plaisantin mais il lui sembla peut convaincant. La vérité c'est que si elle avait été certaine de ne pas gêner Vaillant, elle lui aurait volé ce baiser sans attendre.

Manifestement, cela ne gênait pas Vaillant. Il fut le premier à s'emparer de ses lèvres, volant à Mélisse son idée de vol. Un baiser volé et volant. Furtif et chaud. Au goût de vin. Du moins en ce qui concernait Mélisse, car Vaillant avait bu peu avant, mais dans son cas elle avait en effet avalé une bouchée de poisson. Comme le fit remarquer Vaillant.

Mélisse eut un petit rire. Ce n'était pas le goût le plus agréable qui soit pour un baiser. Surtout le premier.

- Il y a encore du miel si tu préfère.

Il faut croire que le miel n'intéressait pas Vaillant. C'était aussi bien ainsi, car Mélisse souhaitait surtout répondre à l'appel de ses désirs, qu'elle avait tenté de museler en pensant qu'ils n'étaient pas partagés. Elle rendit son baiser à Vaillant sans se priver. Goûtant ses lèvres avec plus d'attention, profitant bien plus de leur douceur que précédemment. Comme lui, elle glissa une main sur sa cuisse quand l'autre passait derrière le cou de l'homme, comme pour l'encourager. Bien vite, Mélisse voulut goûter ces lèvres avec sa langue. Elle les caressa doucement, tandis qu'elle pressait son corps contre celui de Vaillant, son appétit charnel désormais laissé libre de s'exprimer pleinement.

L'étreinte délicieusement chaude de Vaillant faisait battre dans le ventre de Mélisse un appétit bien plus amusant que celui pour lequel il avait prétendu venir. La sorcière enlaçait la langue de Vaillant avec la sienne, dansant lascivement autour, l'invitant à poursuivre sans retenue. Soudain, alors que la main de l'homme acceptait l'invitation, Mélisse sentit un poids étrange sur ses jambes. Il lui fallut un instant pour reconnaître le bruit caractéristique du ronronnement de Chasseur.

C'était bien caractéristique d'un chat : s'installer où et quand ça lui chante. Réclamer de l'attention et des caresses aux moments les moins propices pour les humains. Mélisse rit avec Vaillant lorsqu'il se demanda si le félin pouvait être jaloux.

- Qui sait ?

Mélisse poussa son chat pour le forcer à descendre de ses genoux. Chasseur résista un peu mais dû rendre les armes. Il sauta finalement par terre où il se lécha la patte d'un air vexé. Sa maîtresse s'en fichait bien, car elle avait repris les lèvres de Vaillant. Brièvement, car il ne semblait pas apprécier la proximité du chat. À moins que son désir de visiter la chambre de Mélisse ne soit plus important que ce qu'elle avait supposé.

La sorcière sourit, taquine. Elle mordilla le lobe de son oreille et souffla une question moqueuse.

- Pourquoi, tu as envie de visiter mon garde-manger ?

Entreprenante, Mélisse glissa sa main le long de la cuisse de Vaillant, remontant en s'arrêtant juste avant d'atteindre sa virilité.

Mélisse rit de la réponse de Vaillant. Quelle pirouette ! Tout comme celle qu'il effectua pour échapper à la sorcière. Voilà qu'il était farouche à présent ? Mélisse s'en amusa puis joua le jeu qu'il lui proposait avec son air théâtrale. Prenant un air digne, quoi que marqué d'une ironie prononcée, Mélisse se leva et passa devant son invité pour lui montrer le chemin.

Il jouait très bien le grand seigneur, monsieur l'artiseur. Mélisse ne savait pas grand-chose de Vaillant, mais avec ses maigres connaissances de la haute société elle aurait bien parié que ce n'était pas seulement son talent qui lui garantissait une place au château. D'ailleurs, il paraissait que l'Art était un don bien plus souvent possédé par les seigneurs que par le commun des mortels. Mais en fait, en cet instant, Mélisse s'en fichait bien de toutes ces considérations. Ses priorités avaient changé, pour le reste on verrait plus tard.

Alors qu'elle passait derrière, elle jeta un œil par dessus le comptoir, décochant un regard malicieux à l'adresse de Vaillant.

- Monsieur est bien lent, ne m'avez-vous pas proposé de vous suivre ?

Elle croisa les bras sur sa poitrine, plantée devant la porte de sa chambre pour qu'il l'ouvre et l'invite à y entrer. Elle essaya de mimer ces airs empruntés que les grandes dames pouvaient arborer. Mais le rôle ne lui convenait pas, Mélisse aimait bien trop être naturelle. Ni son regard pétillant, ni son sourire taquin n'auraient pu faire illusion, sans parler de son maintien. La sorcière aimait bien trop la vie pour la maquiller et laisser passer les occasions d'en profiter. Et pour l'heure, elle souhaitait vivre en présence d'un invité qui se faisait désirer.

Très vite, Mélisse abandonna ses manières (et tout espoir de faire illusion) et entra dans sa propre chambre. Rustique et simple, à l'image des Montagnes, Mélisse s'y sentait bien. Elle aimait dormir dans le douillet des fourrures. Dormir ou autre chose…

Comme Vaillant faisait ses commentaires sur l'aménagement, Mélisse lui prit la main et l'entraîna vers le lit. En douceur, elle le fit asseoir pour vérifier le moelleux du lit et prit place à côté de lui. Il ne s'embarrassa pas de rond de jambe, ce qui était aussi bien, et alla droit au but. Ses doigts se glissèrent, insidieux, sous ses jupes, caressants autant que avides ils allèrent à la rencontre de sa féminité. Le doux frisson de l'appétit charnel s'empara de Mélisse. Gourmande comme elle l'était, elle voulait faire durer le plaisir, aussi ne se jeta-t-elle pas immédiatement sur les lèvres de Vaillant, qui pourtant ne semblaient pas demander mieux. À son tour, elle se glissa sous les vêtements de l'homme. Déjouant la barrière de la ceinture, Mélisse délivra la tunique de l'emprise des haut de chausse et s'en alla à la découverte de la peau de Vaillant. Ses doigts glissèrent, caressants, autour de la taille puis montèrent doucement vers le torse, dessinant d'étranges arabesques sur leur passage. Ils rencontrèrent bientôt un poil dru avec lequel ils se mirent à jouer, ils le caressèrent doucement, lentement, sans hâte.

Les lèvres de Mélisse frôlaient celles de Vaillant, comme pour le narguer, rester juste un peu hors de portée. Leurs haleines se mêlaient en un souffle trahissant le désir qui les habitait tout deux. Mélisse le goûtait, elle le sentait au creux de son ventre mais aussi dans l'air qui les entourait, et s'en délectait. Attirée par son pouvoir comme un papillon par la lumière, elle pressa son corps contre celui de l'homme et joignit finalement leurs bouches. À nouveau, elle alla à la rencontre de la langue de Vaillant pour la goûter, la savourer, la déguster. Et finalement la dévorer.

La poigne au cœur de sa féminité se faisait plus forte, poussant la sorcière vers son partenaire. La chaleur du désir peut se faire brûlante et douloureuse lorsqu'on ne répond pas à ses exigences. De sa main libre, Mélisse retroussa ses jupes pour pouvoir sans gêne s'installer sur les cuisses de Vaillant. Elle pu alors l'aider à retirer cette tunique qui devenait superflue en de telles circonstances.

Il y avait tant de hâte et d'appétit en Vaillant que Mélisse avait le sentiment de se faire dévorer par un glouton. Vaillant était affamé, il avait été privé de cela trop longtemps, manifestement, et se jetait sur le repas qui lui était offert sans faire de manières mais avec beaucoup d'enthousiasme. Cette ferveur était communicative, et la faim que Vaillant devait ressentir, la sorcière la sentait elle aussi dans sa chaire. Emportée par cet enthousiasme, elle prit le dessus sur son partenaire et le dévora à son tour tout entier. Tous ses sens étaient emplis de sa personne, de son goût, de son odeur et de sa peau. La joie, le plaisir et la faim se débattaient en elle tandis qu'elle se délectait de Vaillant et de l'un des plaisirs les plus naturels qui soit et dont les promesses enivraient Mélisse bien plus surement que l'alcool qu'ils avaient bu plus tôt.

le hasard: