L'entrainement avait duré plus longtemps que prévu, cependant Taebryn était satisfait. Au fil des semaines, Vaillant avait gagné en puissance et en souplesse. Ce n'était pas le jeune homme que Taebryn avait connu, mais on s'en approchait doucement. Aussi, c'est tout en sueur que les deux hommes s'étaient rendu dans les bains du château, afin de se débarrasser autant de leurs vêtements collants que de leur crasse.

La matinée touchait à sa fin de cet hiver glacé et d'ici une semaine, l'Armée se mettrait en route pour Chalcède, Vaillant y compris.
Taebryn avait du mal à envisager le reste des mois sans son ami, mais il n'avait pas le choix.
Lorsqu'ils arrivèrent dans la pièce, chargée de vapeur, quelques personnes âgés terminaient leurs ablutions. Les deux hommes plongèrent alors leurs corps dans l'eau brûlante et Taebryn ne put réprimer un soupir de soulagement lorsque le liquide enveloppa ses muscles.

- Tes facultés ont encore augmenté Vaillant. C'est plutôt encourageant non? Je ne m'inquiète pas pour toi en Chalcèdes, lança-t-il avec bonne humeur.

Revoir son ami en bonne condition alors qu'il avait été brisé était un soulagement pour le Béarnois, surtout en sachant qu'il serait bientôt dans l'oeil de la Guerre.

Vaillant se plongea jusqu'au nez dans l'eau chaude. Seuls ses yeux et sa tête blonde dépassaient, si bien qu'il dut émerger légèrement pour répondre à son ami.

- Mouais... marmonna-t-il, dubitatif.
Certes il avait fait des progrès, regagnant tout ce qu'il pouvait de sa forme physique. Mais il n'était pas guéri et n'arrivait pas à la cheville de ce qu'il était jadis.

- De toute façon je ne vais pas combattre. Enfin, pas comme on l'entend, reprit-il, supposant que le Béarnais comprendrait.
Lui-même n'avait qu'une idée imprécise de ce en quoi sa mission d'Art consisterait.

Les troupes partiraient dès la semaine suivante. Pourtant, il ne ressentait pas l'excitation qu'il avait escomptée. Parce qu'il ne partait pas comme soldat ; parce qu'il partait pour Vainqueur, et sans Chiara.

Certes, la Duchesse les accompagnerait jusqu'à Castelorme. Dans sa litière familiale jusqu'à son château familial, où il n'aurait plus sa place. Ils parvenaient déjà à peine à se voir à Castelcerf... Partir, c'était dire adieu, il en était parfaitement conscient.

Il n'aurait jamais pensé préférer une femme à la guerre.

Abattu, il jeta un regard à son ami. Il savait ne pas pouvoir lui en parler. A lui ni à personne d'autre... Il aimait bien aimé pourtant, lui qui aimait se vanter de ses conquêtes - même si cette fois c'était différent. Il commençait à se lasser de toute cette clandestinité...

Frustré, il soupira (cela fit des bulles dans l'eau) et dit :
- Je suis retourné au Nid.
Ça, au moins, il pouvait le partager avec le Béarnais !

Taebryn hocha la tête gravement. Il était évident qu'ils n'enverraient pas Vaillant en première ligne mais dans un Guerre, tout pouvait arriver et sa vie n'en était pas moins en danger.
Très vite, il remarqua que son ami semblait perturbé. L'éloquence à laquelle il l'avait habitué s'était effacée sous des traits tirés et en proie à la réflexion.

Soudain, il lui fit une déclaration qui étira les lèvres du grand brun. Ainsi, il était retourné au Nid. Après tout il en avait les moyens, alors pourquoi s'en privait-il s'il aimait cela?
Lui-même voyait Iris tous les dimanches, même si elle ne lui faisait rien payer, leur couple se solidifiait petit à petit. Peut-être d'ailleurs qu'il était temps d'en parler à son ami?
Iris n'était pas n'importe quelle femme, et Taebryn était à présent sûr qu'il éprouvait des sentiments envers elle. Elle n'était qu'une catin aux yeux du monde mais pour lui, elle était bien plus.

- As-tu revu ta petit blonde, comment s'appelait-elle déjà? Lança-t-il avec un sourire de canaille.

Et appuyé sur le rebord, il attendit la suite avec intérêt!

S'il avait été entrain de boire à ce moment là, il aurait surement tout recraché où se serait étouffé avec au choix.
" Ta petite outrîlienne". Ces mots résonnèrent étrangement aux oreilles de Taebryn.
Elle était bien plus que sa petite Outrîlienne, elle était Iris et elle faisait parti de sa vie.
Il aurait pu s'en prendre à Vaillant, mais cela n'aurait pas été juste, le jeune homme n'était au courant de rien.
Cependant, cela lui rappela également qu'Iris travaillait au Nid, qu'elle vendait son corps et qu'il n'en avait pas l'exclusivité. Cette idée lui fit mal au coeur. Au delà de la possession, il évitait de penser qu'Iris voyait d'autres hommes, que d'autres embrassait sa peau, la faisaient leurs.
C'était inacceptable pour lui.

Comme pour reprendre ses esprits, il s'aspergea le visage d'eau et se leva d'un bond :

- Je..je ne vais pas pouvoir rester, désolé, lâcha-t-il les dents serrés tâchant véritablement de masquer sa colère autant que sa tristesse.

En réalité, il avait peur. Peur de s'en prendre à Vaillant, car le sang bouillonnait dans ses veines et qu'un cou pouvait vite partir.

Alors qu'il sortait de l'eau, Vaillant lui agrippa le pied. Agacé, il tourna vers son ami un regard noir tandis qu'il le dominait de toute sa hauteur, complètement nu.
L'incompréhension se lisait sur les traits du blond, mais Taebryn n'en avait cure, ainsi rongé par la colère d'avoir eu à partager Iris avec lui.

Et comme le nobliaux reprenait la parole, le Béarnois explosa.

- Quoi? Hein? Vas-y dis le! Tu trouves ça dégradant? rugit-il sans même se soucier s'ils étaient seuls ou non.

Il était blessé et cherchait à décharger sa peine. Jamais il ne s'habituerait à partager le corps de sa protégée, mais le fait que Vaillant eut connu l'Outrîlienne de façon aussi intime le rendait fou.

Il ouvrit les bras en signe de désespoir.

- Moque toi si tu veux. On a pas tous la chance d'être aussi bien né.

Taebryn ouvrit les bras, impuissant. Juché droit debout sur le rebord du bassin, il dominait Vaillant de toute sa stature et pourtant, il se sentait faible et vulnérable.

- Te dire quoi? Que j'éprouve des sentiments pour une catin? Tu crois peut-être qu'on peut choisir?railla-t-il.

Son regard se posa sur la pièce en général, ne pouvait subitement plus soutenir celui de Vaillant. Honteux, il finit par croiser les bras sur sa poitrine, attendant quoi? Que Vaillant éclate de rire peut-être ou ne le traite de fou.
Aimer une prostitué, il fallait être maso.

- C'est pas comme si on parlait souvent des femmes toi et moi. Je ne sais même pas qui tu fréquentes ces temps-ci alors me fait pas la morale, bougonna-t-il.

Blessé, il n'avait qu'une seule envie : quitter les bassins et leur vapeur étouffante. Il n'avait pas besoin de ça.
Mais contre toute attente, Vaillant se livra lui aussi. Il l'écouta sans même le regarder, les bras toujours croisés, en proie à un réel dilemme dans son fort intérieur.
Et puis, le nobliau s'excusa et Taebryn reporta son attention sur lui. Les sourcils froncés, l'oeil dur, il jaugeait le jeune homme. Etait-il sincère? Il lui sembla que oui.

Après un soupir, il revint se plonger dans l'eau, mais resta encore distant avec son ami. Bien qu'il ne puisse réellement lui en vouloir, le mal était fait. Ce n'était pas une rancœur qui débordait de son être mais plutôt une déception profonde vis à vis de l'Outrilienne.

Pourtant, il ne trouvait pas les mots qui permettraient de les réconcilier, il en était bien incapable.
Les bras à nouveau croisés dans l'eau, il s'appuya sur le rebord du bassin et attendit, le regard droit devant d'avoir une illumination sur ce qu'il convenait de dire dans de tels cas. Il n'en avait pas la moindre idée, Vaillant était le premier ami qu'il avait.