La nuit avait été longue et plutôt rude. En prévision du mariage du lendemain, un groupe de nobliaux de la cours avait convié Vainqueur à une sorte de fête privée. L'alcool avait coulé à flot, le Roi avait mal à la tête. Il avait fait honneur à cette petite sauterie pas si improvisée que cela. Des femmes avaient été engagé pour servir le vin ainsi que d'autres services tout aussi enivrants et pour être tout à fait honnête, il ne se souvenait pas de tout.
Aussi, la cérémonie fort longue avait eu tôt fait de l'ennuyer à mourir. S'il n'avait pas été debout, il aurait pu parier qu'il se serait endormi.
Heureusement, Shyrin relevait le niveau. Dans ses effets de mariée elle était splendide et rosissante.
Une jolie petit poupée que certains convoitaient certainement déjà comme nouveau pantin de la cours. Il serait vigilant quant à ses fréquentations, sa naïveté pourrait lui attirer des ennuis.
Lorsque enfin l'officiant acheva ses propos, il revint au moment présent et comme le voulait la tradition, baisa délicatement la main de sa nouvelle épouse.
La seule qu'il aurait il l'espérait, car il ne voulait pas revivre pareille cérémonie à l'avenir.
Par El...que de préparatifs et que de formalités...
Heureusement, l'ambiance était à la fête, le peuple était joyeux et chantant. La nourriture était bonne et l'alcool coulait encore. Il ne prit qu'un verre afin de ne pas ruiner ses chances lors des joutes qui suivraient.
Enfin un peu d'action ! Il aurait dû s'en réjouir mais à la vérité, une personne lui manquait dans toute cette cohue. Son meilleur ami aurait pu partager tout ceci avec lui, aurait pu le faire rire et contenir ses excès à lui. Mais son meilleur ami n'était plus. Il devait se contenter à la place d'une épouse et d'une ribambelle de nobles intéressés.
C'était différent et certainement le commun pour la plupart des Roi songea-t-il. Alors il s'en accommoderait.
Après le premier repas, on les conduisit jusqu'aux terrains où les joutes auraient lieu. La foule était dense et agitée. Les badauds, mêlés aux plus nobles dans les gradins, même s'ils se situaient dans des zones différentes semblaient impatients de voir les guerriers se battre.
Lui aussi avait hâte, malgré la fatigue, le combat lui ferait le plus grand bien.

Il tourna son visage vers son épouse et remarqua qu'elle le regardait également, souriante. Comme un écho naturel, il répondit à son sourire. Quelle image devaient-ils donner tous les deux...
A sa question, il saisit sa main délicatement et répondit :
- L'épée, naturellement...mais avant cela...j'ai un présent pour vous.

Alors il se leva et l'invita à faire de même. A leur mouvement, la foule les acclama puis sur un geste de Vainqueur se tut.
Le Roi allait parler et il était particulièrement charismatique en ce jour de fête, dans sa livrée bleu de Cerf, l'emblème des Loinvoyant apposée sur son torse à l'argent.

- Avant de commencer les festivités des joutes, commença-t-il d'une voix forte et claire, je souhaiterais offrir un présent à mon épousée.

Le peuple semblait ravis et sur ses mots, son Maître d'écurie avança sur le terrain en compagnie d'une pouliche richement apprêtée. Sa robe d'un alezan cuivré, rappelait aisément la chevelure de la Chalcédienne, de même que sa ligne élancée. Malgré le bruit et l'ambiance, l'animal semblait serein et particulièrement calme. Une jument encore jeune, mais prometteuse qu'il avait choisi lui-même pour son caractère apaisé, idéal pour les débuts de cavalière de Shyrin.

- Elle s'appelle Aurore et elle est à vous, précisa-t-il à la jeune femme d'une voix douce.

Le Maître d'écurie tendit les rennes en direction de la Reine, afin qu'elle puisse venir caresser l'animal. Afin que tous puisse admirer la beauté de la jument, seul un filet lui avait été apposé ainsi que des décorations dans les crins.

Le présent fit mouche. Émerveillée, Shyrin n'hésita pas une seule seconde avant de s'avancer vers sa nouvelle monture. Elle la caressa et l'appela doucement par son nom avant de lui flatter l'encolure. La glace était brisée entre la jument et la jeune femme et quelque part, Vainqueur en fut vraiment satisfait.
Il avait longuement hésité entre plusieurs choix, finalement, le cheval avait eu gain de cause, plus un autre cadeau qu'il lui offrirait plus tard dans l'intimité.
La foule semblait tout aussi enthousiaste que la nouvelle Reine et cela mit du baume au coeur au Roi. Enfin, il parvenait à obtenir les faveurs de son peuple mais pour combien de temps encore ? Comment leur faire oublier cette Guerre qui même gagnée, aura laissé un goût amer dans la bouche de chacun ?

Shyrin le ramena à leur vive réalité en le remerciant puis en le gratifiant d'un baiser sur la main. Puis elle lui annonça posséder également un présent pour lui. Il en fut surpris, agréablement surpris.
Etant donné son statut il se demandait bien comment elle avait pu se procurer quoique ce soit.
Quoiqu'il en fut, sur ses ordres un homme s'avança avec un présent dans un plis d'étoffe de velours.
Un sourire flottant sur les lèvres, Vainqueur déplia le tissu et découvrit une dague ou plutôt un poignard savamment ouvragé. Le style n'était clairement pas des Duchés et il comprit que ce présent provenait de Chalcèdes.

- Un poignard digne d'un Roi, assura-t-il ravis à la jeune femme avant de se saisir de l'objet et de l'observe sous toutes les coutures.

Il enroula la ceinture autours de ses hanches et admira le résultat un instant avant de remercier sa Reine d'un hochement de tête apparenté à une révérence respectueuse.
Puis il l'encouragea à regagner les gradins et demeura au milieu du terrain.

- Que les jeux commencent ! lança-t-il d'une voix forte.

La foule acclama le début des festivités et déjà, les premiers combattants s'amassèrent au bord du terrain.
On lui apporta alors son épée et à son tour, il patienta pour qu'un adversaire vienne se frotter à sa lame. Ce n'était que des jeux, que de simples passes d'armes, mais le spectacle demeurait grandiose pour la foule, chacun tremblait pour son favori et espérait secrètement voir tomber les autres.

Le déserteur n'avait pas été assez masochiste pour s'infliger la cérémonie. Pourtant il aurait aisément pu s'introduire dans le château, dont il connaissait jadis chaque garde par son prénom. Quoique. L'auraient-ils reconnu avec sa cicatrice, sa peau tannée par le soleil et sa tenue moins qu'impeccable ? Il n'était plus le maître d'armes d'autrefois.

Flamme. C'était la seule raison pour laquelle il aurait aimé passer les portes du château. La panser une dernière fois avant de l'offrir par la main d'un autre en cadeau de mariage à son Roi. Une dernière marque d'amitié, d'estime surtout : il savait que Vainqueur saurait prendre soin de la jument dont il ne pouvait plus s'occuper. Les palefreniers le faisaient déjà sans doute, mais toute monture - celle-ci en particulier - avait besoin d'un cavalier.

Au lieu de banqueter, le déserteur avait mangé sur le marché du Bourg, dont il retrouvait avec plaisir les odeurs. Aux premières rumeurs, il était retourné à l'auberge du port où il logeait pour quelques jours, pour s'équiper. Sa cotte de maille, sa dague, son épée. Il laissa son arc à regret et prit son casque sous le bras avant de sortir.

Fantassin noir délavé, il suivit la foule jusqu'au lieu de la joute. Le ciel était bleu, l'herbe verte, le soleil brillait : un jour parfait pour un mariage qui resterait dans les mémoires, et aussi dans la sienne comme un ultime camouflet. La Chalcédienne avait menti sur la mort d'une héritière Loinvoyant, et en guise de punition, le Roi l'épousait. Le Roi épousait l'ennemi combattu au prix de tant de vies. Brun n'arrivait pas à comprendre. Il ne voyait que l'amour pour expliquer cette folie.

Pourtant le peuple semblait content. Peut-être n'avait-il pas connu de liesse depuis trop longtemps. La famine était terminée, la récolte s'annonçait belle. Les cendres du bûcher en hommage aux soldats tombés s'étaient depuis longtemps éparpillées. De nouvelles naissances avaient consolé le monde. Brun songea à Espoir, derrière les remparts de Castellonde. Au pied des remparts de Castelcerf, le Roi et sa nouvelle Reine brillaient dans la tribune.

Vainqueur avait les traits tirés mais belle allure dans sa livrée royale. Sa voix vibrait du même charisme quand il ouvrit les jeux. Sa démarche était assurée quand il s'avança sur le terrain. Dans la tribune, Shyrin le suivit des yeux. Sa robe ivoire accentuait sa pâleur, rehaussée par ses cheveux de feu. Quand elle avait offert le poignard à Vainqueur, le déserteur avait eu un sourire mauvais. Elle ne serait jamais sa reine. Sa fragilité ni sa pureté prétendues ne le trompaient plus.

Chaque combattant - ils étaient une dizaine - était muni de son épée et d'un bouclier léger. Certains portaient un casque, d'autres non. Les livrées étaient soignées et colorées, sauf celles du déserteur. Personne n'aurait misé sur lui avec son casque cabossé n'en protégeant pas moins bien l'arrête du nez jusqu'à mi-mâchoire. Ses yeux n'étaient que deux fentes. Brun n'aimait pas réduire ainsi son champ de vision, mais il fallait bien masquer son visage. Il n'était pas là pour provoquer le Roi, mais pour gagner cette épée au pommeau d'or qui ferait la fortune de Loyal Bongrain, maintenant que le Comte Braveterre n'était plus.

Le combat commença. Le déserteur laissait ses adversaires successifs venir à lui et se battait sans brio, économisant ses forces. Il parait et attendait l'angle d'attaque propice pour soumettre l'ennemi. Tous étaient de bons combattants, mais les acclamations du peuple et la soif de gloire les incitaient à la démonstration de force. Tôt ou tard leur audace découvrait une faille, et le déserteur ne la manquait pas.

Trois fois victorieux, il brûlait moins que les autres. Malgré tout, sa maille lui pesait, son souffle s'embuait sous son casque, et il sentait le tiraillement dans sa jambe. Entre les fentes de métal, il regarda le Roi s'avancer vers lui. Ébouriffé, Vainqueur irradiait. Ils n'étaient plus que quatre sur le terrain. Le déserteur se mit en position et attendit les premiers coups. Ce serait violent et il sentit enfin l'adrénaline le prendre.

Vainqueur était plus grand que lui, plus fort, mais il ignorait contre qui il se battait et il n'avait pas la rage qui soudain l'habitait.

Concentré et riant, Vainqueur accueillit chaque combattant avec le sourire et la confiance du guerrier indéfectible. Il était Vainqueur et son nom ne lui avait pas été donné par hasard. Les défaites lui étaient étrangères, sur le terrain comme dans sa vie.
Ce qui le dérangeait finirait par s'en aller, par disparaitre à un moment ou un autre. Le Roi avait confiance en l'avenir, les Dieux ne pouvaient pas se tromper à son sujet. Ne venait-il pas de gagner la Guerre en Chalcèdes ? Ne venait-il pas de se marier ? Il devait profiter de ce qu'il pouvait récupérer et en vouloir toujours plus. L'ambition portait les Roi, l'humilité les défaits.

Il osa un regard vers Shyrin qui ne cessait de l'observer. Le simple fait de savoir qu'il avait un public suffisait à le rendre encore plus combatif. Rapidement, les hommes qu'il affronta regagnèrent le bord du terrain et ils ne furent bientôt plus que quatre en lice.
Il y avait là un homme plus petit que lui, coiffé d'un heaume misérable qui lui mangeait la moitié du visage, un autre bien jeune mais dont la détermination avait déconcerté la plupart de ses assaillants et une femme qui n'avait rien à envier à ses pairs.

Le Roi ne s'était pas économisé, mais tandis que les assaillants se faisaient moins nombreux, il reprenait son souffle l'épée à la main. Le poing de sa garde dans sa paume le rassurait. La femme se plaça devant lui et lui offrit un sourire carnassier auquel il répondit. Elle lui lança un petit "mon Roi" de défi avant de se fendre pour le toucher du plat de sa lame.
Vainqueur parât la tentative et s'engagea dans une passe d'armes avec elle. Elle était douée et réfléchit, mais il était fort et impétueux. Au bout de quelques échanges, il la surprit d'un cri tandis que son épée la confrontait de face. Elle réussit à bloquer l'attaque, mais la force du Roi, tenant son épée à deux mains, la fit rouler en arrière.
La foule hurlait et acclamait son héro dès qu'un des combattants s'avérait vaincu. Et bientôt, ils ne furent plus que trois.
Il décida alors de s'avancer vers l'homme au heaume, quelque chose l'agaçait dans cette image masquée.

S'il attendait qu'il le salue chevaleresquement, Vainqueur pouvait attendre longtemps. Finalement le Roi porta le premier coup d'épée et la joute commença.

La foule était bien plus réceptive quand il s'agissait du Roi. Chacune de ses attaques était accompagnée de clameurs. Le déserteur eut même droit à des sifflements quand un énième coup tomba sur son bouclier sans réplique de sa part. Il ne venait pas pour briller. Il venait pour gagner.

Il sentait l'exaspération de Vainqueur monter. Ses coups se faisaient plus violents et plus rapprochés. Il avait hâte d'en finir avec ce combat qui ne lui permettait pas de s'illustrer.

Le déserteur ne pourrait bientôt plus tenir sa position défensive, et il n'en avait plus envie. Lorsque Vainqueur lança toute sa force dans sa nouvelle attaque, il se déroba sur le côté. Le Roi partit en avant et le déserteur le chargea avec son bouclier. Alors la vraie joute commença.

Brun se servait de son bouclier pour parer et frapper. A présent ses coups pleuvaient. Malgré l'énergie dépensée, Vainqueur tenait le rythme. Le Roi lui fit une botte spéciale que le déserteur para juste avant que la lame n'atteigne sa maille. C'était leur botte à eux. Cela faisait si longtemps, ils ne savaient plus lequel des deux l'avait inventée.

- Pas à moi, grogna-t-il par dessus les crissements des lames.
Son sourire s'élargit sous le casque quand il vit la surprise du Roi. Dans cette position, il avait l'avantage. Prenant un risque pour la première fois, il plongea vers la garde du poignard chalcédien.

Le hasard:

Le membre 'Brun Braveterre' a effectué l'action suivante : Le hasard en action

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'Hasard 6' : 4

L'homme au casque ne le salua pas et Vainqueur prit ombrage de cet affront. Cependant, ils avaient du public alors le Roi devait se montrer bon joueur. Il entama le combat comme avec les autres, avec hargne et fougue. L'adrénaline bouillant dans ses veines et l'exaltation des festivités donnaient au Roi des ailes, ailes qu'il aurait été idiot de réprimer.
Il porta plusieurs coups encore et encore mais l'homme au heaume ne cessait de parer ou de contenir les attaques.
Rapidement, le Roi en eu marre de ce couard qui se cachait derrière une défense au bouclier et d'un casque. La lame fendit l'air encore et encore, les coups devenaient plus rapprochés et plus violents. Il voulait en finir.

Il lança toute sa force dans sa dernière attaque que l'homme esquiva simplement sur le côté. Emporté par le poids de son épée, Vainqueur réussit à reprendre le contrôle de son corps bien que trop tard. Déjà, depuis le côté, le combattant usait à présent de son bouclier pour parer et riposter, tout à la fois. Retranché dans ses dernières ressources, Vainqueur souhaita user de sa botte spéciale, un exercice qu'il avait mis en place avec Brun mais contre toute attente, l'étranger parât aisément l'assaut. Le Roi en fut surpris et perdit quelque peu de son entrain. Plus encore, lorsque l'homme parla dans son casque, il comprit instantanément qu'il s'agissait de Brun.

Stupéfait, son épée retomba mollement le long de son corps et le déserteur en profita pour se jeter en avant. Il sentit le poids de sa nouvelle ceinture se retirer de ses hanches et lorsqu'il comprit que Brun venait de lui soutirer son cadeau royal, il était trop tard.
Il aurait du en être excédé, faire intervenir les gardes pour cet affront odieux, mais l'euphorie de revoir, même dans de telles conditions son meilleur ami l'emporta sur tout le reste et il se mit à rire avec force et franchise.
Le public quelque peu déstabilisé pour commencer accompagna le Roi dans son amusement dès que ce dernier s'inclina, bon perdant face à l'homme au heaume.
Alors les cris et les félicitations fusèrent de toutes parts tant pour féliciter celui qui avait désarmé le Roi que le souverain en lui-même qui demeurait magnanime en ce jour joyeux.

Il ne restait qu'un combattant, mais Vainqueur savait déjà qui l'emporterait. Impatient, il observa les derniers instants de la joute, un large sourire dessiné sur ses lèvres.

Les doigts du déserteur se refermèrent sur la garde du poignard chalcédien, qu'il arracha du fourreau d'un coup si vif que la ceinture toute entière tomba au pied du Roi. Brun lâcha son bouclier. Il comptait affronter Vainqueur avec ces deux lames ; mais le rire tonitruant du Roi sonna la fin du combat.

Perplexe, le déserteur resta à son tour bras ballant alors que la foule s'esclaffait en écho. Se moquaient-ils de lui ? Etait-ce des hourras qu'il entendait ? Et Vainqueur ? Riait-il pour sauver la face, ou était-il sincèrement heureux de le revoir ?

Par El ce rire lui avait manqué. Et tout à la fois il avait envie de continuer à le frapper.

Confus, le déserteur s'inclina à son tour et lui fourra le poignard dans les mains. Puis il ramassa son bouclier et s'avança sur son dernier adversaire.

Il ne fit qu'une bouchée du jeune homme qui paya pour sa frustration, et qui, de toute manière, n'imaginait pas vaincre le vainqueur du Roi. Le combat fut bref et brutal et bientôt Vainqueur proclama Brun victorieux. Il devait recevoir sa récompense des mains de la Reine.

- Veuillez vous découvrir en présence de la Reine, précisa-t-il, et le déserteur sut, par ce coup bas, que rien n'était pardonné.
De fait, rien n'était pardonné. Il ne reviendrait pas à Castelcerf et il ne redeviendrait pas l'ami - voire le sujet - du Roi.

A Shyrin, peut-être, il pouvait pardonner. Mais cela lui semblait au-dessus de ses forces. Rejoignant la tribune, il s'agenouilla lourdement devant la Chalcédienne et attendit d'être incliné pour enlever son casque. Il ne releva pas le visage et de lui, on n'aperçut que les cheveux ras et le front bronzé barré d'une cicatrice.

Comme prévu, le jeunot ne fit pas long feu face à Brun. Vainqueur s'en enorgueillit et se frotta doucement le nez, avant de croiser les bras. Bien que ayant vaillamment combattu, le jeune homme se liquéfia face à celui qui venait de détrousser le Roi après d'habiles passes d'armes. Doté de son casque, le mystère planait sur l'identité de celui qui venait de remporter les joutes, ce qui devait plaire à la foule.

Dès que possible, le Roi proclama l'homme au casque victorieux et l'accompagna à la loge où Shyrin devait lui remettre son présent. Une épée au coût exorbitant. Brun n'en avait nul besoin, le Roi se doutait que sa mise à l'épreuve avait pour but autre chose que l'argent, restait à savoir quoi.
Lui manquait-il ? Avait-il recouvré ses esprits pour revenir vivre au château ? Oui c'était forcément cela. Vainqueur se faisait déjà une joie de retrouver son ami autour d'un verre. Il souhaitait mettre de côté ce fâcheux incident et s'excuser platement pour ce qu'il avait osé lui demander. La peur avait parlé à travers sa bouche.

Il refusait en revanche de laisser le déserteur dans l'anonymat. Par El pourquoi s'était-il ainsi couvert la tête ?
Il demanda donc à ce qu'il retire le heaume comme le voulait la Bienséance.
L'homme s'agenouilla et retira son effet. A la vue de la cicatrice, le sourire du Roi s'effaça lentement. Par quoi était-il passé ?
Shyrin cependant ne se laissa pas démonter et lui offrit discours et présent de la victoire. Elle l'incita ensuite à se mettre debout afin de la foule l'acclame comme il se devait.
Enhardit par sa joie de le revoir, le Roi appuya les propos de la Reine et ordonna qu'on apporte à boire sur le champ.

Shyrin avait le sens de la mise en scène. Elle semblait pleinement à l'aise dans son rôle de Reine. Ne l'avait-elle pas reconnu ?

Le déserteur saisit le métal froid. Il ne put s'empêcher d'admirer l'épée. Quel dommage : il allait devoir la vendre. Il avait toujours eu un faible pour les belles armes. Mais les armes d'apparat ne lui servaient plus à rien, à part à attirer le soupçon, la convoitise et l'assassinat.

Sur ordre de Shyrin, il se releva et subit les vivats. Il se sentait comme un usurpateur. Dans les gradins, une rumeur avait commencé à se propager. Ce visage était trop familier. Il le baissa et reçut, en apparente humilité, les mots de la Reine.
- Vous manquez à votre ami, Brun Braveterre.

Mais aucun de ces deux hommes n'existaient plus. A qui la faute ?

- Vous manquez à votre peuple, Shyrin, répondit-il entre ses dents.
L'insulte était pour elle et pour elle seule. Qu'elle retourne dans ce pays qu'elle n'aurait jamais dû quitter. Les Duchés ne lui appartenaient pas. Elle n'était pas sa Reine et elle n'était pas son amie.

Malgré tout les mots faisaient leur route. Manquait-il vraiment à Vainqueur ? Vainqueur souriait bêtement. Le déserteur vida un godet de vin cul sec et durcit son coeur. Brun Braveterre ne manquait pas à Vainqueur Loinvoyant, mais ce bon vieux chien loyal qui lui rappelait son enfance et se serait rogné la patte sur son ordre.

Brun n'était plus ce chien, il n'était plus qu'un chien de mer sans autre maître que le chef de bord. Il pouvait quitter à n'importe quelle escale. Un contrat était bien plus facile à rompre qu'une allégeance.

Le déserteur n'attendait qu'une occasion pour déserter. Rentrer au bourg mettre l'épée en sécurité, la queue entre les jambes. Il craignait que Vainqueur le rappelle à son amitié.

Brun accueillit la récompense ainsi que le verre de vin. Déjà dans les gradins, les premiers murmures de ceux qui l'avaient reconnu se pressaient les uns contre les autres. Et Vainqueur souriait toujours plus. bien qu'il appréciât Force, elle n'était pas Brun. Peut-être pouvait-il lui proposer de siéger directement à son Conseil plutôt que dans le terrain d'entrainement. Oui, il avait besoin de quelqu'un sur qui compter avec ces nouvelles responsabilités.

Comme son ami, il but son verre cul sec et l'invita prestement à demeurer pour le banquet du soir. Sa place était ici, ce banquet serait aussi celui de son retour.
Attendant la réponse de Brun, il en profita pour annoncer à la foule que les festivités reprendraient après une pause. Il fallait modifier le terrain pour les épreuves de tir à l'arc et puis le Roi souhaitait aussi refaire quelque peu sa mise, l'exercice avait salit sa livrée et ses mains.
Il ne pouvait rester dans cet état auprès d'une Shyrin immaculée.

- Alors ? Pouvons-nous compter sur ta présence ce soir ? Reste donc là tout l'après-midi ? Le tir à l'arc va commencer d'ici peu, nous pourrions le contempler avec un ou deux godet !

Tout à la toilette de ses mains dans un broc d'eau amené par un domestique, Vainqueur était tellement sûr de lui qu'il n'envisageait pas même un refus.

Acuité était arrivée la veille à Castelcerf. Elle séjournait avec un semblant de suite dans une auberge non loin de l'entrée du bourg. Ils étaient venus à cheval depuis Castellonde et elle avait masqué son visage derrière une ample capuche tout du long. Aujourd'hui encore, les aubergistes ignoraient tout de leur étrange cliente et de sa suite. Une femme riche certainement et cela leur suffisait.
L'aurait-on reconnu aussi aisément ? Elle se posait la question.
Depuis le départ de Brun, elle avait sombré dans une sorte de dépression. Elle se sentait trahie et abandonnée, surtout abandonnée.
Sa mère, si heureuse de son retour, s'inquiétait pour sa santé. Elle ne mangeait que peu et son poids avait chuté. Ses formes de mère l'avaient quitté et elle avait retrouvé son allure gracile et fragile. Sa peau était plus pâle que jamais et ses cheveux attachés en un chignon bas avec quelques épingles cuivrés qui laissaient pourtant libre quelques mèches de cheveux ternis par le manque de nourriture, brillant par les soins aux huiles qu'elle avait pourtant retrouvé.

A sa déprime, elle devait ajouter les humeurs de son père, qui bien que heureux d'avoir retrouvé sa fille et un petit fils tout bâtard qu'il était, ne pouvait pardonner à cette première ces agissements passés. Il l'avait giflé à plusieurs reprises, toujours en privé. Elle le craignait désormais et se demandait s'il ne l'avait pas envoyé ici exprès pour se débarrasser d'elle. " Notre famille doit être présente au mariage du Roi" avait-il dit. Il avait raison et elle devait en être la fière représentante, elle s'y était engagée auprès de lui. Reprendre la gestion de Castellonde sous ses ordres et ne plus jamais le décevoir. Pourtant dans ses propos sonnaient aussi les paroles de sa conscience qui lui murmurait : s'il t'arrive quelque chose, alors Espoir sera définitivement à lui.
Un bâtard Loinvoyant suffisamment important pour que Vainqueur s'en inquiète, un héritier mâle comme son père en avait toujours rêvé.

Les rumeurs sur son retour s'étaient déjà propagé, elles étaient mitigées et on entendant de tout. Elle s'en moquait, qu'on ait pitié d'elle ou qu'on l'admire, plus rien n'avait d'importance. Restait pourtant son rôle à jouer dans ce mariage, comme un cailloux jeté dans un lac trop tranquille. Elle ferait quelques vagues par sa présence et montrerait à Vainqueur qu'elle n'était pas totalement finie.
Sur sa robe bleue de cerf, elle plaça sa longue cape et abaissa son capuchon sur sa tête, alors elle quitta l'auberge et se dirigea vers le terrain de jeux.
Tout était à la fête, banderoles, musiques, nourriture et boisson. Tout lui donnait la nausée.
Elle avait cessé de pleurer depuis quelques temps déjà, à la place elle s'était emmurée dans un monde dénué d'émotion, sauf en présence de son fils. Voilà trois jours qu'elle était partie, il lui manquait cruellement mais au moins le savait-elle en sécurité.

Les badauds s'écartaient devant elle, intrigués par l'identité de cette ombre qui déambulait au milieu d'eux.
Arc à la main, elle s'était avancé et avait rejoint le groupe des archers qui attendaient leur tour. Quand elle entra sur le terrain, sa suivante lui enleva sa cape. Le menton suffisamment haut, son regard noir et intransigeant se posa sur les cibles que l'on installait. Acuité Loinvoyant était belle et bien présente en ce jour, un fantôme pour certains, une rescapée pour d'autres.

Comment Vainqueur pouvait-il faire comme si de rien n'était ? Le déserteur serra les doigts sur son nouveau verre de vin.

Il devait fuir au plus vite. Il se savait faible face à celui qu'il venait de battre sur le terrain. L'intérêt de Vainqueur flattait son orgueil et son amitié blessée. L'intérêt de Vainqueur caressait sa solitude. Il pouvait fermer les yeux et tout retrouver ? Son ami, ses camarades, son chez lui ?

Après tout, les choses s'étaient plus ou moins arrangées. Espoir était en sécurité avec sa mère à Castellonde. Acuité avait retrouvé son rang. Vainqueur avait pris femme et aurait bientôt son propre héritier. Au terme de ces aventures malheureuses, lui seul avait changé de vie. Pouvait-il retrouver l'ancienne ? Le voulait-il ?

Confus, Brun ne savait pas quoi répondre. Son regard fuit le Roi et s'évada sur le terrain. Les archers prenaient place. Alors il vit Acuité.

Son coeur manqua un battement. Que faisait-elle là ?! Si frêle dans sa robe bleue de Cerf.

Il détourna précipitamment les yeux pour ne pas attirer sur elle l'attention du couple royal. Mais c'était ridicule. Acuité était au milieu de la piste ! Tous allaient bientôt la voir. C'est sans doute pour être vue qu'elle était venue.

Le Roi savait-il déjà qu'elle était là ? Probablement. Elle devait loger au château avec ses gens. Depuis des jours peut-être. Elle avait sans doute eu le temps de parler avec Shyrin, voire avec Vainqueur. Qu'avaient-ils pu se dire ? Il n'en avait aucune idée. De tous il était le moins informé. Il se sentit soudain très seul.

- Très bien, répondit-il sans joie.
Il assisterait au tournoi, et ensuite il irait lui parler.

Depuis quelques jours, Vaillant était nerveux comme une pucelle à la veille de ses épousailles. Il se persuadait que c'était par souci pour Shyrin, ou pour cette épreuve d'arc qu'il était sûr de perdre. En vérité il redoutait de croiser Chiara au détour d'un couloir. Ce qui le gênait n'était pas proprement de la croiser (cela arriverait à un moment ou à un autre, et il avait longtemps appelé ce moment de ses vœux), mais de ne pas savoir où et quand. Vaillant n'avait pas vu la Duchesse depuis près d'un an, et n'avait pas répondu à sa lettre du mois dernier. Ces retrouvailles seraient étranges à n'en pas douter, car trop désirées, mal désirées. Depuis quelques nuits, il avait recommencé à rêver d'elle au point qu'il avait dû ressortir l'amulette de Mélisse.

Conséquemment, Vaillant s'était fait particulièrement rare dans les couloirs et les salles communes du château. Il passait ses matinées à la Tour d'Art, ses après-midi à l'entraînement, et ses soirées dans ses appartements. Un esprit sain dans un corps sain. Ou presque.

Bien que son niveau soit nettement au-dessus de la moyenne, Vaillant ne se faisait pas d'illusion sur ses chances d'emporter l'épreuve d'arc face aux meilleurs archers des Cinq-Duchés. Il n'était pas aussi bon au tir que jadis à l'épée. Le souvenir de la Grande Mêlée, deux ans auparavant, était vif en ce jour. Le décor était le même, mais plus l'homme. Vaillant n'était plus ce nobliau de province épris de gloire. Aujourd'hui il était capable de jouer juste pour le plaisir du jeu, et lorsqu'il perdrait, il n'y aurait pas d'humiliation, pas de souffrance, pas de rancœur ; juste un sourire fair-play et un nouveau souvenir.
Dans cette ambition louable, Vaillant s'était préparé jusqu'au dernier moment, n'assistant pas à la première joute. Entendre de loin les hourras qui saluaient à n'en pas douter la victoire du Roi ? Cela lui suffisait, merci.

Boitillant sans plus y penser, le Baugien rejoignit le terrain. Et plus précisément la silhouette blonde qu'il venait d'apercevoir. Il voulait en avoir le cœur net.
Avec son chignon sage, il eut pu ne pas la reconnaître. Vaillant était surpris de la trouver là. Shyrin lui avait laissé entendre qu'elle ne serait pas présente.

- Acuité Loinvoyant, dit-il en s'inclinant avec la grâce racée que contredisait son sourire gamin.
Il ne pouvait pas s'en empêcher. Pourtant il n'osa rien. Ce nom de Loinvoyant, elle le portait plus que jamais. L'enfance avait tout à fait déserté ses traits. Elle avait vécu tant de choses terribles !
Pourtant elle était là aujourd'hui, droite, presque raide, devant lui, devant tout le monde. Il se retint de tâter les contours de son esprit. Il aurait parié son cheval qu'il ne sentirait rien ; alors qu'il n'avait qu'à tendre la main pour la toucher.

Au lieu de cela, Vaillant prit une flèche dans son carquois et la fit tourner entre ses doigts.
- Je suis sûr que nous t'avons manqué, moi et mes talents d'archer légendaires, crâna-t-il, élargissant son sourire.
Pourtant rien n'était moins sûr. Depuis sa "disparition", Acuité n'avait jamais cherché à le contacter. Pire, elle ne l'avait jamais laissé la contacter. La jeune femme avait sans doute les meilleures excuses du monde. Malgré tout, il en était un peu blessé. A cause de leur proximité d'Art, de leurs caractères contraires et des familiarités déplacées qu'il s'était permises avec elle, elle était pour Vaillant - qui n'avait que des frères - ce qui s'approchait le plus d'une sœur.
Encore une affirmation à conjuguer au passé. Ça ne l'empêcherait pas d'en plaisanter.

Les autres archers s'étaient installés sur la piste. La rumeur enflait, nourrie de ces apparitions inattendues et de l'impatience de la foule. Vaillant allait bientôt devoir rejoindre son équipe. A son bras flottaient les couleurs de Cerf, et celles, plus claires et plus discrètes, de sa fiancée. Vaillant craignait de n'avoir d'autre prix à lui offrir que lui-même. Mais il s'en moquait. Revoir Acuité avait fait sa journée. Il en oubliait même Chiara qui, à cet instant, les regardait peut-être de la tribune.

De la pointe de sa flèche, il désigna le tissu de sa robe.
- Défends-tu encore les couleurs de Cerf ? s'étonna-t-il.
Encore : il faisait référence au précédent tournoi d'arc qu'ils avaient disputés ensemble dans l'équipe cervienne, deux ans auparavant, sous les ordres de Braveterre. Pas à la situation actuelle de la petite Duchesse.
Sa tenue avait de quoi surprendre : l'héritière avait été rendue à Béarns, avec un nouvel héritier au sang mêlé ; plus que jamais les intérêts de Cerf et de Béarns semblaient diverger. Ne chuchotait-on pas que ce nouvel héritier du Nord était la raison pour laquelle le mariage royal avait été si vite annoncé ?

Les murmures devinrent paroles et les paroles acclamations ou rumeurs. Elle s'y était attendu, elle s'y était préparé, pourtant le malaise persistait. Son peuple l'avait accepté mais les Cerviens ?Il y aurait toujours des insatisfaits et elle devait faire avec depuis sa naissance.
Droite comme un piquet, elle évita scrupuleuse de regarder vers la loge royale. Croiser le regard de Vainqueur lui ferait perdre instantanément sa concentration. A son égard, elle n'avait plus que mépris et colère. Deux émotions qui ne faisaient pas bon ménage avec le tir à l'arc.

Vaillant en profita pour la rejoindre. Ils ne s'étaient pas vu depuis longtemps et elle avait depuis refusé toute ses tentatives de contact par l'Art.
Il s'inclina avec grâce et elle répondit à son sourire canaille par un des siens, un peu plus sage. Pourtant, elle était réellement heureuse de le revoir, même si la plupart du temps ils se chamaillaient, forts d'une rivalité qui les avait toujours séparé. Acuité était de celles qui relèvent les défis, Vaillant de ceux qui en posent.
Lui avait-il manqué ? Elle n'en savait trop rien, elle n'avait eu le temps d'y penser.
Surtout ses dernières Lunes. Livrée à son père, ce dernier avait réussi à la tenir occupée plus que nécessaire, sans cesser de lui rappeler combien elle était chanceuse d'être née de lui. Tout autre l'aurait reniée, mais même s'il ne pourrait jamais lui pardonner ses frasques, il l'aimait elle et son nouveau petit-fils. Chaque jour, inlassablement, il lui remettait le nez dans ses erreurs et ses fautes et chaque jour il érodait inlassablement sa conscience d'elle-même.
Brun était parti, elle était seule contre lui et sans soutien, elle se sentait petit à petit glisser vers ce qu'il voulait faire d'elle : un pion à déplacer à sa guise, un pion sans pensée ni initiative.
Elle se sentait vide comme jamais, tellement vide que s'il n'y avait eu Espoir, elle aurait mis fin à ses jours depuis longtemps.
Peut-être la poussait-il en ce sens ?

- Je suis ravie de te revoir, s'entendit-elle répondre d'une voix atone qui contredisait presque ses propos.

Elle le regarda alors, vraiment. Il avait vieillit et cela ne la surprit pas, l'Art avait cette capacité étrange à vous voler des années. Il le pratiquait depuis longtemps désormais, quand elle avait arrêté.

- Vraiment, se reprit-elle avec un sourire d'excuse.

Excuse pour ne pas avoir répondu à ses appels, pour son comportement si froid en ce jour et pour tout ce qu'il aurait voulu.
Lorsqu'il pointa sa robe du bout de sa flèche, elle inclina légèrement la tête et répondit :

- Mariage familial oblige, je me dois de porter les couleurs du Roi.

Mais elle ne les défendait pas et pour le montrer, elle tira de son sein un foulard jaune qu'elle leva un moment au dessus de sa tête. L'étendard de fortune flotta un instant dans l'air chaud et la foule scanda le nom de son Duché, enflammé par la compétition.

Juste la rejoignit alors. Lui aussi portait les couleur de Béarns à son bras. Elle lui tendit le foulard et il l'attacha à son bras à elle. Jeune soldat qu'elle jugeait prometteur à l'arc, il avait fait la route avec elle et sa suite et participait aujourd'hui avec elle dans l'équipe de Béarns. Ils n'étaient que deux à entrer dans la compétition, une compétition qui avait bien plus de valeur aux yeux de la jeune femme qu'un simple prix à remporter.

A peine Brun avait-il accepté l'invitation que de nouveaux murmures enflèrent dans la foule. Vainqueur n'était que joie à la perspective de ce banquet et de ses retrouvailles avec son ami. Ils avaient tant de choses à se dire et lui tant de choses à se faire pardonner.
Son sourire s'effaça lentement lorsqu'il comprit pourquoi dans les gradins, la folie reprenait alors que les archers prenaient place. Shyrin se leva instantanément, il reconnut la joie dans ses traits.
Son regard à lui stoppa net sur Acuité.

Debout au milieu du terrain, il remarqua son allure mince et sa robe bleue. Il se doutait bien qu'un ambassadeur de Béarn viendrait, mais ne s'était pas attendu à ce que Glace envoie sa propre fille. Punition ou provocation ? Il ne sut le dire à cet instant précis.
A sa grande surprise, il n'était pas foncièrement fâché qu'elle soit là, il se souvenait trop bien de ce caractère aussi impulsif que le sien pour ne pas dire impétueux. Ne l'avait-elle pas grondé devant tous ses gens lors de leur première partie de chasse ? Elle n'avait peur de rien, pourtant aujourd'hui, elle paraissait si petite et diminuée.

- Tu savais ? demanda-t-il machinalement à Brun sans la quitter des yeux.

C'était plutôt étrange que les deux aient choisi de faire un retour si remarqué sans s'être consulté. D’ailleur, où en étaient-ils ? Glace était-il au courant des origines de son adoré petit-fils ?
Lorsqu'elle tira de son décolleté le tissu jaune, Vainqueur bu son verre cul sec. Elle était là pour le provoquer, pour lui montrer que la menace proféré des mois plus tôt n'était pas des paroles en l'air.
Elle venait lui montrer que Béarn se tenait prêt et qu'elle n'avait pas peur d'être ici.

Il remarqua alors que Shyrin ne semblait plus être capable de tenir en place. Combien de temps l'avait-elle attendue ? Trop longtemps à son goût et il fut surpris d'en éprouver une certaine jalousie.
En tant que petite cousine du Roi, tous s'attendaient vraisemblablement à ce qu'elle soit présente, ici ainsi qu'aux festivités. Pouvait-il l'en empêcher ? En avait-il envie ? Devait-il vraiment la prendre comme le point noir de la journée ?
Non, sa présence était légitime et malgré les menaces, elle demeurait une Loinvoyant. La joute ne serait pas que sur le terrain ce jour, il savait déjà que dans les paroles et dans les actes, un autre combat s'engageait.